Word World (par Jacques Demorgon)

Les grandes orientations culturelles
Cours de formation à l’interculturel

Encyclopédie sonore des Universités, Université de PARIS X – Nanterre

II. Domaines et cultures

17e émission : Espaces et temps

78. De la proxémique à la danse de la vie

Dans l’étude de l’espace et du temps, l’oeuvre de Hall est de nouveau une référence obligée. Il est, en effet, à l’origine de recherches empiriques qui ont utilisé l’observation enregistrée. Il a même créé pour ses études une discipline nouvelle : la proxémie (proximus = proche). Cela lui a permis de montrer que selon les circonstances mais aussi selon les cultures, les personnes n’établissaient pas les mêmes distances entre elles.

Selon les circonstances, Hall définit quatre distances :

  1. la distance publique éloignée concerne la relation spectaculaire. Proche, elle se réfère aux rapports collectifs dans un groupe commun;
  2. la distance sociale éloignée peut concerner la relation hiérarchique. Proche, elle se réfère, par exemple, aux relations professionnelles. Elle peut aller d’un mètre vingt à trois mètres soixante:
  3. la distance interpersonnelle oscille entre 1m25 et 45 cm, selon qu’elle est éloignée ou proche. Dans le premier cas, au plan visuel, on peut considérer l’ensemble de la personne et au plan auditif, la voix doit être pleine pour être entendue. Dans le second cas, on est déjà dans la familiarité.
  4. la distance intime oscille entre 40 et 0 cm selon qu’elle est éloignée ou proche. Elle définit une intimité familiale ou plus réservée encore, d’ordre sexuel.

A partir de ces distinctions on peut étudier comment elles varient selon les cultures. Ainsi, dans la rencontre interpersonnelle, certaines personnes s’approchent exagérément par rapport aux habitudes des autres qui, souvent, se reculent. Dans la culture allemande, par exemple, selon Hall, “il y a un besoin compulsif de maintenir l’espace vital, le lebensraum. Les Allemands se sentent souvent serrés. Ils réagissent viscéralement s’ils trouvent leur territoire menacé. La distance interpersonnelle est plus grande chez eux que chez les Français. Le contact physique – toucher, prendre dans ses bras, embrasser – est généralement évité et de toute façon est infiniment plus rare et plus restreint que chez les peuples latins. Littéralement, les Allemands “gardent leurs distances”. Qu’ils soient debout, assis ou couchés d’ailleurs. A ce sujet on comparera, avec Pascal Dibie, l’usage du lit français – latin – pour deux personnes, et des lits jumeaux allemands – anglo-saxons. Comme il est facile de le deviner, cette plus grande distance interpersonnelle sera souvent perçue par les Français comme un signe de réserve, de froideur ou même d’animosité”. Ceux-ci seront également gênés par la clôture et la lourdeur des portes qui manifestent une “volonté de bien séparer le territoire individuel (privé ou non) du domaine commun. Les bureaux directoriaux en Allemagne ont même le plus souvent une double porte… Les dirigeants d’une entreprise américaine qui venait d’acheter une société allemande, ont été stupéfaits de constater que chacun des dirigeants allemands de la société disposait d’un bureau aux portes soigneusement ajustées, aux murs parfaitement insonorisés”. Un manager allemand qui travaillait aux États-Unis était si excédé de la façon dont certains Américains se rapprochaient de son bureau qu’il avait même fait clouer à la distance qu’il souhaitait le fauteuil de son visiteur.

On ferait des remarques semblables concernant la culture japonaise. Une jeune étudiante de cette nationalité disait que les Français ne se rendaient pas compte de l’intense irritation qu’ils produisaient chez les Japonais quand, pour exprimer une certaine tendresse, ils passaient spontanément leurs mains dans la chevelure d’un jeune enfant.

L’observation de jardins publics dans des pays différents est également pleine d’enseignements. Dans certains cas, dès qu’une personne est assise sur un banc public, on considère qu’on la dérangerait en y venant. A l’inverse, dans d’autres pays, même si un banc de quatre personnes est rempli, une cinquième pourra néanmoins chercher à s’asseoir. Il n’est pas rare que dans ce cas, l’une des quatre personnes assises se lève et s’en aille.

Une étude plus détaillée des rapports à l’espace devrait également prendre en compte les ponctuations extérieures et intérieures de la maison. Dans nombre de pays, le seuil extérieur de la maison est constitué non seulement par une porte mais encore par un petit auvent qui a plusieurs significations. Certaines sont symboliques, d’autres pragmatiques. Par exemple cela permet de recevoir sur le seuil de la propriété sans faire entrer la personne. Ainsi, selon Hall, en Allemagne, une personne qui se tient sur le seuil d’une porte est perçue comme ayant déjà pénétré dans la pièce. Elle a franchi les limites internes du territoire personnel; elle s’est rendue coupable d’intrusion. A l’intérieur de l’entreprise, même les dirigeants se gardent d’empiéter sur le territoire de leurs subordonnés.

A l’intérieur de la maison, on ne pénétrera pas librement dans la cuisine d’une maison française, alors que ce sera relativement admis dans une cuisine américaine dans laquelle le réfrigérateur est relativement collectivisé.

D’autres études empiriques de Hall également enregistrées ont été faites par exemple sur des marchés. Elles ont permis de découvrir que dans des scènes d’échanges commerciaux entre personnes de cultures différentes, de nombreuses ruptures de rythmes avaient lieu car l’ajustement ne se faisait pas. Au contraire, quand acheteur et vendeur étaient de la même culture, l’harmonisation des conduites sautait aux yeux, au point que Hall put y trouver le titre d’un de ses livres : la danse de la vie.

79. Édimbourg : un journaliste français ignorant les cultures

Bien d’autres conduites culturelles dérivées seraient à prendre en considération. Tout un travail reste à faire à leur sujet pour les référer aux conduites ou aux complexes de conduite fondamentaux qui ont été et sont leurs sources. Les contresens et donc les préjugés demeurent nombreux et fréquents. Ne citons qu’un exemple. Un journaliste politique français connu fait un reportage en Grande-Bretagne et trouve que les Britanniques manquent de tonus. Il écrit :

Les Anglais sont tombés bien bas et rien ne pourra les en sortir. Ils restent patiemment debout sur le trottoir, attendant un taxi, alignés comme des moutons. J’ai couru en tête, attrapé le premier et personne ne m’a rien dit. Ils se contentaient de regarder.

On a là tout un condensé d’incompréhensions interculturelles. Les Britanniques ne sont pas des moutons. S’ils sont alignés dans la queue, c’est pour de multiples raisons culturelles. Monochronie : chacun à son tour. Contexte strict : chacun séparé. Distance à autrui : respect de sa bulle et de la bulle de l’autre. S’ils ne disent rien et regardent, il en va de même : cela indique prise de distance, flegme, contrôle émotif, mais cela au bénéfice de plusieurs possibilités : constat du comportement goujat d’un Français ou curiosité voire tolérance à l’égard de quelqu’un qui peut exceptionnellement avoir des raisons graves d’être pressé. Toute une éducation, toute une culture du côté britannique et ici, malheureusement du côté français, tout un manque d’éducation, tout une inculture de ce que sont les cultures. Ce qui, pour un journaliste, surtout politique, est une lacune professionnelle grave.

80. Habitant et gouvernant, aréolaire et linéaire, analogique et digital

Une contradiction se fait jour en ce qui concerne l’organisation et la nomination de l’espace urbain. Elle oppose la vision de contrôle en extériorité des pouvoirs publics, vision qui est de type linéaire et la vision de pratique en intériorité qui est celle de l’habitant et qui est de type aréolaire (aréa, la surface, l’aire). Le cas du Japon est à cet égard exemplaire comme le montrent les observations de A. Berque sur l’espace au Japon”.

Au fil des siècles, trois tentatives au moins furent faites par des pouvoirs publics. La plus ancienne concernait la ville de Kyoto planifiée par les
pouvoirs impériaux japonais selon un modèle chinois. C’était un système cadastral de voies orthogonales. Dans ces conditions, “l’espace était donc totalement déterminé par l’ordre linéaire et supra-local de la voirie.” A l’origine, le nom de chaque “machi” (quartier), formant un carré de 120 m de côté, était déterminé par sa place dans l’ensemble. Or dès le 12e siècle, les habitants leurs redonnèrent des noms en relation aux activités qui s’y déroulaient. Au 16e siècle, les quartiers furent recoupés par une rue médiane. Ils gardèrent leurs noms mais les rues prirent le nom des quartiers traversés. Ainsi, Sera Mmaci Dôri était la rue du quartier des monastères. Le quartier a fini par annexer et définir la rue et non l’inverse.

Deuxième tentative : celle de l’État meijien, à Sapporo, dans un espace vierge. Ce n’était pas les aires mais d’abord les rues qui étaient nommées. Par contre, l’adresse de l’habitant était composée du nom de la rue mais suivi d’un chiffre qui reflétait la situation de sa maison dans le bloc quadrangulaire. On avait ainsi la combinaison des deux principes linéaire et aréolaire. Ainsi Kita 11 ne signifie pas 11 rue Kita mais rue Kita, 11e parcelle.

Troisième tentative. Après la défaite de 1945, les Américains voulurent introduire à Tokyo un système rigoureux de noms de rues. Mais en vain.

Toutefois, quel que soit l’effort d’abstraction les données concrètes d’un espace urbain ne peuvent jamais être complètement éliminées. Ainsi, pour numéroter les rues, il faut bien partir d’un début réel. Cela peut être un fleuve qui traverse la ville, comme c’est le cas à Paris avec la Seine. Bien entendu, des situations peuvent résister à cette organisation. On peut dans un quartier trouver plus commode de numéroter les rues à partir d’un grand carrefour d’où elles partent.

81. Espaces et formes historiques de sociétés

Dans un ouvrage intitulé Le monde: espaces et systèmes, les auteurs, Durand, Lévy, Retaillé, historiens et géographes, nous présentent d’entrée quatre grands types de constructions sociétales avec les formes d’espaces internes et externes qui leur correspondent.

1) D’abord les sociétés communautaires correspondent à un ensemble de mondes (micro-sociétés, tribus). Leur espace intrasociétal élémentaire est “l’horizont”, terme allemand signifiant “espace flou produit par les déplacements des nomadisations”. Ajoutons qu’entre celui-ci et les espaces plus organisés qui suivront une transition exceptionnelle est celle que Bruce Chatwin a découverte en Australie avec le fameux chant des pistes. Les parcours donnent lieu à des chants qui évoquent les paysages et permettent d’avancer en les découvrant dans les paroles mêmes des chants.

L’espace intersociétal des sociétés communautaires est la séparation. En effet chaque micro-société se définit seule comme celle des vrais hommes et se débrouille aussi plutôt seule dans un environnement encore très ouvert.

2) L’espace intersociétal des sociétés impériales se caractérise par la domination. Un champ de forces géohistorique est à l’oeuvre avec conquête
ou perte de territoires. Il y a des marches de l’empire avec des marquis pour les marquer et les conserver. Il y a des avancées ou des reculs de frontières, des volontés de stabilisation par construction de murs. Ainsi du limès romain avec, dans sa portion la plus au nord, le grand mur d’Hadrien entre l’Angleterre et l’Ecosse d’aujourd’hui. La grande muraille de Chine est tout aussi célèbre. Et naguère encore, les lignes Siegfried et Maginot prétendaient, au moins sur une petite portion, fixer la séparation entre l’Allemagne et la France. Cependant c’est le champ de forces qui est constitutif de l’espace et s’il faiblit les frontières les plus solides sont franchies comme l’ont montré Mongols et Mandchous en Chine.

Quant à l’espace intrasociétal élémentaire bien circonscrit des royaumes et des empires, c’est le pays (en anglais, country; en allemand, Land).

3) Troisième forme selon les auteurs : les sociétés marchandes-systémiques. Leur espace intrasociétal élémentaire est le network – réseau aux limites franches (nations toujours avec leurs frontières) – et leur espace intersociétal est la transaction : marchande d’abord, politique ensuite, militaire s’il le faut vraiment. La transaction peut englober tout cela et le faire jouer de diverses façons symboliques et réelles.

4) Enfin la quatrième grande forme correspond à la société-monde. Son espace intrasociétal élémentaire est le rhizome – réseau aux limites floues. Son espace intersociétal est la communication informationnelle-mondiale.

82. Temps des uns et temps des autres

Le temps des uns et le temps des autres ne sont pas les mêmes. Cela peut tenir à des données naturelles. C’est le cas pour le temps de cicatrisation des plaies qui est fortement dépendant de l’âge. Ainsi le blessé de 20 ans cicatrise deux fois plus vite que le blessé de 40 ans. L’enfant de dix ans cicatrise cinq fois plus vite que l’homme de 60 ans.

Mais les temps diffèrent aussi à partir de données culturelles. Nous chercherons à comprendre d’où elles proviennent après avoir donné plusieurs exemples.

Une opposition fréquente dans la perception du temps et qui est à l’origine de bien des différences, est celle qui oppose le temps des campagnes aux temps des villes. Les urbains vivent plutôt le temps quantitatif de l’horloge et gèrent leur temps de loisir moins bien que les paysans. Les paysans vivent plutôt le temps du calendrier qui est qualifié par Mendras de code des qualités du temps : alternance de saisons qui ramènent au même. Larre souligne que dans le monde paysan de l’ancienne Chine, ces qualités du temps étaient appréciées de façon détaillée. Le temps venait, passait, revenait : le temps de la branche de prunier, de la tige de bambou, de la feuille d’érable, de la ramure du pin, du cri aigre de l’oie grise, du chant sucré du loriot, de l’appel de la caille.”

A. Kagame écrit : “Dès que l’action ou l’événement éclate, le temps en est marqué, estampillé, individualisé et il devient le temps de cet événement.”
Et William Grossin souligne : “l’activité, les phénomènes produisent leur temps spécifique dans l’actualité même de leur développement”. Seule cette référence à la centration sur le présent événementiel intensément vécu peut nous permettre de comprendre que, dans certaines langues africaines, hier et demain s’expriment par le même mot. En effet, l’événement intensément vécu dans un présent qui dure avec lui constitue un centre. Et le reste est autour à la périphérie. Avant-hier et après-demain s’expriment aussi par le même mot qui est différent de celui qui exprimait hier et demain. En effet, on est toujours autour mais d’abord un peu plus près (hier et demain) et ensuite un peu plus loin (avant-hier et après demain). Et c’est cela qu’on veut souligner dans la culture du temps-événement.

Autre exemple donné par Malinowski : pour dater un événement les Trobriandais énumèrent “les noms des sites cultivés les années précédentes” et peuvent remonter ainsi sur “plusieurs dizaines d’années”.

Du point de vue occidental habituel, on pense que ces exemples révèlent un manque de structure mais c’est par rapport à notre culture d’un temps linéaire clairement orienté entre l’avant et l’après. Nous ne savons pas voir l’autre structure celle qui fait primer l’événement, le moment, le plein, par rapport au cadre, à la durée, au vide.

Les cultures sont plus complexes et contradictoires que les représentations que nous en avons. Nous vivons en même temps dans le temps digital – où nous ponctuons nos activités – et dans le temps des calendriers religieux qui sont bel et bien fondés sur des événements. Ceux-ci se veulent de portée éternelle et sont déjà effectivement de portée millénaire comme la naissance du Christ ou la prédication de Mahomet. Des calendriers différents peuvent coexister dans le même pays. Ainsi des calendriers occidental, islamique et copte, en Égypte.

On a comme deux tentatives inversées. D’une part, il y a le temps dissolvant tous les  événements : Chronos dévorant ses enfants. D’autre part, il y a l’événement qui vise à transcender le temps et même à le fonder. Tantôt par son unicité, tantôt par sa répétition même. Par exemple dans le cycle des morts et des (re)naissances. Parfois il y a même quasi-coïncidence. Ainsi le religieux de la Création du monde et le scientifique du Big-Bang peuvent au moins actuellement se rejoindre pour nommer l’événement origine du temps. En fait les cultures ne font que s’orienter diversement selon les lieux, les époques et les modalités de la vie par rapport à ces inséparables : les événements et les temps.

Les attitudes par rapport au temps relèvent donc de nombreux facteurs, par exemple liés aux couches socio-économiques, aux professions et même aux cultures nationales. C’est ce que montre une étude de Rezöhàzy sur les rapports au temps des Péruviens et des Belges. Il utilise la méthode des budgets-temps et définit cinq critères : – coordination des rencontres – distribution des activités – fixation d’objectifs – capacité d’évaluer un progrès – valorisation du temps en lui-même. Les résultats mettent en évidence des
différences entre les groupes sociaux. Ainsi l’utilisation effective d’un agenda décroit à travers les quatre niveaux professionnels suivants : 1) cadres, professions libérales, ingénieurs, 2) employés, 3) techniciens et agents de maîtrise, 4) travailleurs peu ou pas qualifiés. Mais ensuite les résultats montrent “qu’à tous ces niveaux, les Belges sont toujours beaucoup plus nombreux que les Péruviens à utiliser un agenda.

83. Désaccords sur les retards

Parmi les exemples les plus fréquents de désaccords sur les retards, il y a les décalages dans les arrivées des personnes lors d’une activité commune. L’observateur est en mesure de constater facilement que des participants de différentes nationalités n’arrivent pas ensemble. Ils sont en avance, à l’heure ou en retard. Il y a bien entendu des variations individuelles mais il y a aussi un habitus qui peut être référé aux différentes cultures nationales des personnes. Mais l’observateur relève lui-même d’une culture nationale qui risque d’influencer son interprétation et son évaluation des situations et des conduites des autres. Pour l’éviter, il doit devenir chercheur et passer par le recueil des sentiments des uns et des autres concernant l’événement. Par exemple, s’il est Français, au lieu de considérer qu’il n’y a pas à faire d’histoire pour un retard que lui juge limité, il peut apprendre que ce retard a été interprété par certains participants, Allemands, Québécois, etc…. comme un manque d’intérêt à l’égard de l’activité, voire du stage lui-même, de ses thématiques ainsi que des personnes qui, elles, se présentent, à l’heure fixée pour les activités communes.

L’échange interculturel véritable intervient quand les personnes de différentes nationalités peuvent se dire le sens que chacune accorde à tel événement sur lequel elles sont en désaccord. Elles font alors de leur différend un objet de métacommunication. Pour les uns, le retard n’est autre qu’un retard dû à des circonstances conjoncturelles, ou bien à la norme culturelle souple à l’égard de l’heure. Le respect de l’heure fixée peut même être assimilée à une impolitesse par la contrainte exagérée qu’elle exerce sur l’autre. Ces personnes poussent même leur argumentation : “ce n’était pas si important d’être à l’heure pour l’activité programmée puisque maintenant que toutes les personnes sont là, au lieu de commencer cette activité, on discute des retards de certains. Mais le chercheur peut alors une fois de plus constater qu’à partir d’un problème précis et concret, on se retrouve sur le registre des oppositions identitaires et culturelles globales. Chacun ne veut plus que justifier sa conduite et sa culture avec des raisons plus ou moins bonnes.

Mais si cette question des retards est inépuisable et se réenvenime sans cesse, c’est là encore que les choix des cultures nationales ne peuvent constituer des solutions définitives. En effet, des valeurs fondamentales restent en opposition sans que l’on puisse renoncer à l’une ou à l’autre. En principe l’arrivée de tous à la même heure est faite pour éviter l’attente et la perte de temps censée l’accompagner. Il est évident que dans nombre
d’activités par exemple dans les transports un seul décalage à un moment donné peut rendre impossible la suite programmée de nos déplacements et compromettre les activités prévues. Mais c’est que l’on est déjà dans une construction programmée du temps. Dans cette construction, il n’y a plus place pour le hasard et pour ce qu’il peut nous apporter précisément en nous sortant de force de notre programme. Si le temps est régi non par son amenuisement en cadre uniforme mais, au contraire, par son surgissement en événements différents, le retard n’a plus le même sens. Dès lors la question ne peut plus être de savoir si ce retard est acceptable ou non. Elle est d’accepter que des événements puissent soudain primer sur d’autres même si ceux-ci ont été au préalable programmés. Ils l’ont été dans un univers qui se trouve invalidé puisqu’il ne pouvait tenir compte d’événements nouveaux.

Sécurité liée à une durée organisée d’avance ou bien événements surgis de l’instant avec leur richesse imprévue : le choix restera toujours difficile et c’est sans doute aussi pour cela que les cultures le font à notre place et le font différemment. Ceux qui doivent se rencontrer sur la base de ces cultures différentes du temps auront quelque mal à le faire sans blessure. Même si la connaissance des cultures différentes du temps à elle seule ne résoudra pas leurs problèmes, elle contribuera au moins à éviter les conflits trop forts et permettra la recherche d’aménagements.

BIBLIOGRAPHIE

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