Word World (par Jacques Demorgon)

Extraits de Hommage à Jean Christophe Victor

 La Russie ou le bouclier d’un espace infini ?

Les Slaves  de l’Est sont tôt malmenés bien avant 988. A cette date le baptême chrétien orthodoxe de la Russie vise à fonder l’unité autour de Vladimir dont, aujourd’hui encore Ukraine et Russie se réclament à coup de statues géantes. Les envahisseurs viennent, les uns, du nord comme les Varègues (Vikings). D’autres, de l’est asiatique comme les peuples turcs – Petchenègues puis Coumans qui écrasent les Princes de Russie (1068).

Surtout, les Mongols vont conquérir la quasi totalité du pays. En 1241, Kiev est détruite, l’Ukraine saccagée. Seule exception Novgorod, contrainte cependant de devenir tributaire sous la domination de la Horde d’Or. Cet État mongol, fondé au 13e siècle par Batû khân, petit-fils de Gengis Khân, s’étendait sur la Sibérie méridionale, le sud de  la Russie et la Presqu’île de Crimée. En 1380, Donskoï bat les Mongols à Koulikovo. Victoire sans lendemain, la Horde d’or se venge en ravageant les villes de Moscou et Vladimir en 1382.

Ce sera depuis l’ouest aussi, que la Pologne et la Lituanie unies envahissent la Russie. La principauté de Moscou devient une peau de chagrin. Elle s’agrandit cependant au nord avec Ivan III (1462-1505) qui va battre les Mongols en 1480. Bien après, sous Ivan le Terrible, proclamé Tsar en 1547, la Horde d’Or, divisée, et l’usage nouveau du canon, permettent de détruire au sud-est proche le khanat de Kazan en 1552, puis plus bas celui d’Astrakan en 1556. Le khanat Chaybanide de Sibir ne le sera qu’en 1584. Auparavant, le khanat de Crimée, allié aux Ottomans, s’empare de Moscou et la brûle en 1571.

Fin 16e, début 17e : la Russie est envahie depuis l’ouest par les Suédois et les Polonais. Gustave II Adolphe, roi de Suède, enlève aux russes l’Estonie, l’Ingrie et la Carélie orientale et ferme l’accès des Russes à la Baltique (1617). La Russie, si longtemps dite kiévienne, ne retrouvera Kiev qu’en 1654.

Les réactions russes s’étendent à l’Est quand dès 1581 des Cosaques entreprennent la conquête de la Sibérie. Ils atteignent l’Ob au début du 17e siècle, puis vers 1680 le fleuve Amour qu’ils ne le franchissent pas. En 1689, la Russie signe un Traité avec la dynastie Mandchoue.

Au sud méditerranéen, c’est seulement encore cent ans plus tard, en 1783, que la Russie, sous Catherine II, vient à bout du Khanat de Crimée, accède à la la Mer Noire et repousse l’empire ottoman au Sud.

Les steppes kazakhes sont alors investies à la fin du 18ème siècle. Au 19e siècle, entre 1854 et 1873, l’Asie centrale, est conquise jusqu’à la frontière de l’Afghanistan. En même temps, en Extrême Orient, la dynastie mandchoue, affaiblie par les Traités inégaux, laisse la Russie annexer 2,5 millions de km2 sur l’Amour et l’Oussouri (1860), jusqu’au Pacifique. Avec l’annexion de la Sakhaline et celle de la presqu’île du Kamchatka, la Mer d’Okhotsk devient pratiquement russe. L’Alaska également conquise est vendue aux Etats-Unis en 1867.

A l’ouest, on peut dire que dès la seconde moitié du 18e siècle, la Russie réduit quasiment à néant la Pologne que l’Union soviétique contrôle jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989.

A l’opposé d’une Chine qui se constitue pendant trois millénaires en assimilant ses envahisseurs et s’accroît démographiquement, on a une Russie qui pendant un millénaire et demi  d’atteintes multiples et de réactions de plus en plus vives réunit des terres immenses puis en perd le quart dans lequel subsistent d’importantes minorités russes. Dans les deux cas, cependant, la dimension du politique, en appui guerrier, s’est installée « légitimant » une forme de société impériale soutenue.

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