Word World (par Jacques Demorgon)

Source : J. Demorgon, « 14-18, Avant, Après ! » in La Révolution Prolétarienne n°803, décembre 2018

« 14-18 », avant, après !

L’intelligence étendue et profonde de « 14-18 » nous parait insuffisante. D’abord, on ne peut désolidariser « 14-18 » de « 39-45 », ni de la « Guerre froide ». Entre celle-ci et les deux précédentes, le contraste est total quant aux violences. C’est pourquoi nous analysons un 20e siècle qui va de 1914 à 1989 ». Pour penser « 14-18 » il faut se référer à ce qui l’englobe : la longue genèse de l’Europe d’avant « 14 », le terrible rebond de « 39-45 », la surprenant « Guerre froide » qui s’achève en 1989. Enfin le 21e siècle en cours ! Entretemps, l’Europe de la domination du monde s’est effondrée. C’est elle-même qui accomplit cette fin. Or, elle comporte de si monstrueuses violences que celles-ci constituent l’événement majeur dont l’intelligence manque. Comment cette acmé de violences a-t-elle été possible ? C’est l’interrogation essentielle. Elle porte certes sur l’Europe et le monde d’alors. Mais peut-on  prétendre, sans étude, sans vérification, que ce qui les a précédés – même de longtemps – n’y est pour rien ? C’est tout le contraire. « 14-18 » et ses suites sont inséparables déjà de la longue genèse de l’Europe. Une rétrospective globale est indispensable à la prospective du 21e siècle : « Occident, Chine, Monde ».  L’histoire fonctionnelle destinale, nouvel « Art de la pensée » se découvre le premier laboratoire géant des sciences humaines. L’Europe en trois millénaires aura « expérimenté » cinq destins. -Celui des « consortiums » d’États rivaux latins, hellènes, hellénistiques. -Celui des Empires romains d’Occident et d’Orient. -Celui de la Religion catholique occupant le Pouvoir suprême. -Celui du « consortium » d’États européens rivaux coagulés dans la domination coloniale du monde qui s’est in fine nommé lui-même un « concert des nations ». -Celui de l’actuelle Économie financière informationnelle mondiale en cours d’affrontement aux multiples résistances des autres États et peuples. « 14-18 », « 39-45 », la « Guerre froide » portent leur sens en eux-mêmes. À condition de ne pas les séparer. Ni entre eux. Ni de ce qui les a précédés même de longue date. Et pas davantage de ce qui attend, aujourd’hui, cette suite d’expérimentations en espace-temps réel de l’engagement destinal humain dont nous ne conjurons toujours pas le sort. Reste à découvrir ce qui les réunit, le fil rouge des méreupories planétaires et millénaires. Mis en évidence par David Cosandey depuis bientôt un quart de siècle, il reste mal connu et peu compris. La « lingua franca » conquérante ne prend pas en compte l’indispensable fil rouge de l’histoire destinale humaine. C’est pourtant lui qui fonde en étendue et en profondeur les analyses et synthèses qui suivent.

1.1./ Du mythique empire romain d’Occident aux royaumes barbares

a./ En un millénaire et demi, l’Occident a expérimenté plusieurs montées successives au Pouvoir suprême. Celle, politique, de l’Empire romain d’Occident est connue. Avec, avant lui, dès Jules César, ses luttes difficiles au limès. Ces luttes se sont inversées en invasions des tribus extérieures contre l’Empire jusqu’à sa chute finale (476). Une période politique instable a suivi faite d’évolutions de pouvoirs limités dans le temps : les « Royaumes barbares ». Cette fragilité des pouvoirs politiques a facilité leur recherche d’appui du côté des populations chrétiennes conquises et de leurs représentants religieux. Ce fut vrai dès le début du 4e siècle avec Constantin dans l’Empire romain d’Orient. Là où elle existe, l’administration de l’Église catholique apporte autorité, continuité, unité. Lors de la conquête franque de la Gaulle, ce fut le cas pour Clovis. Plus tard, cela permit la reconstitution d’un véritable Empire carolingien mais il prend fin dès son partage entre les trois fils de Charlemagne.

1.2./ La Papauté romaine. La religion au Pouvoir. L’unité, diversité » perdue

L’Eglise catholique profite d’un vide de pouvoirs politiques forts. Elle entreprendre sa propre montée au Pouvoir. Les progrès de la christianisation à l’ouest, au nord puis à l’est de l’Europe, lui confèrent une présence plus étendue qu’aucune autre institution. Les chefs confirment leur pouvoir en entraînant leur population dans une conversion collective. Par ailleurs, l’Église romaine use de son autorité spirituelle et morale au service d’une bonne gouvernance politique. Il n’y a plus qu’un pas à franchir : faire en sorte que les gouvernants se sentent au regard de leurs populations comptables d’une conduite politique et morale répondant aux exigences de l’Église.  Introduisons ici le précieux concept de « crase ». En sociohistoire, les crases accompagnent toute volonté de maintien au Pouvoir d’une grande Activité humaine instituée telle que Religion, Politique, Économie, Information. Quand l’une d’entre elles veut garder son Pouvoir, elle capte le plus d’atouts des autres grandes Activités pour les affaiblir et montrer qu’elle peut les remplacer. Elle remplit mal les fonctions qu’elle usurpe car elle les connaît peu; elle en réunit plusieurs et, pour parvenir à les effectuer, les simplifie, les compresse, bref les écrase. Évoquons les principales « crases » de la Papauté catholique. Elle empiète sur le Politique avec la nomination des évêques dans les États comme en s’autorisant à sacrer les rois voire à les excommunier. Tout ce que dénonce Luther. Quant à l’Économique, elle le pervertit par la vente des indulgences et le tient en laisse grâce à l’interdit du prêt à usure entre chrétiens. Ce que Calvin dénonce. Elle empiète sur l’Information, y compris scientifique. Elle la contrôle selon ses propres critères de la vérité révélée. Elle s’en prend aux savants, même jusqu’à les vouer à lamort.

1.3./ L’Europe en vaine recherche d’Empire 

Au 10e siècle, la Francie orientale carolingienne, sous les Ottoniens, se constitue  en Empire par la magie du latin : Sacrum impériumSacrum romanum impérium s’échelonnent : 1157, 1184. L’usage est acquis vers 1254. L’ajout Nationis Teutonicae n’apparaît qu’au 15e siècle. Certes, au siècle suivant, c’est Charles Quint (1500-1558). Il impressionne : « Le soleil ne se couche jamais sur mon empire ». C’est le fruit du hasard de plusieurs héritages dynastiques associés. Il est Charles 1er d’Espagne, colonies comprises et royaume de Naples. Il est Charles II, duc de Bourgogne. Et il a toujours l’Autriche. Peu après lui, cet empire réduit n’est plus à même de mener des guerres offensives. Au 18e siècle, il ne peut même plus protéger ses propres membres. Napoléon crée La Confédération Du Rhin. Les huit décennies du Saint-Empire prennent fin le 6 août 1806. Les titulaires du trône, d’« empereur des Romains », deviennent « empereur d’Autriche ». 

1.4./ La conquête de l’indépendance politique des États en Europe

Face à la Papauté romaine, le Pouvoir politique, d’abord conciliant cherche, dès Charlemagne, à reconquérir sa suprématie. Les situations se durcissent. Henri IV d’Allemagne fait mine de reconnaître son excommunication. Puis il envahit Rome avec son armée montrant aux Romains leur Pape incapable de les protéger. Plus tard, en France, Philippe Le Bel vient à bout des « Templiers » représentant la Papauté. Bien après, Henri VIII d’Angleterre, lui aussi excommunié, se proclame seul chef légitime des catholiques anglais. Regardons les crases que la Politique, à son tour, effectue pour conquérir et garder le Pouvoir. Elle empiète sur l’économie par toutes sortes de taxations et droits de douanes. Ses « crases » fleurissent sous divers noms : mercantilisme, colbertisme, bullionisme. La Politique se prétend aussi détentrice de l’Information vraie à travers plusieurs sortes de crases : universités contrôlées, censure de la presse et des arts, scientisme et mythes nationaux. Le Politique se présente en majesté. En temps de guerre, il récupère le religieux sous le blason de « l’Union sacrée ».

2./ Fil rouge. Longue évolution méreuporique. Invention de la nation marchande

2.1./ Cosandey, la découverte de la méreuporie, conversion partielle d’antagonismes

David Cosandey (2007) dans son étude de la genèse planétaire des sciences et des techniques, découvre le phénomène qu’il nomme « méreuporie », néologisme constitué à partir du grec : Meros « division », euporos « bonne issue ». Il parle aussi d’un « système stable d’États divisés, prospères et rivaux ». De quoi s’agit-il ? D’une rivalité entre États généralement voisins et ce jusqu’à la guerre. Comment peut-il y avoir « bonne issue » ? D’abord, ces États ont entre eux des dimensions de culture commune. Ensuite, ils ne sont pas très différents quant à leurs poids économique et politique. A partir de là, aucun ne l’emporte sur les autres. La rivalité peut même se ralentir. C’est alors qu’apparaît la  « bonne issue ». Chaque pays entretient une classe de chercheurs et d’inventeurs espérant qu’ils vont découvrir de nouveaux moyens de puissance que les autres n’auront pas. La méreuporie est bien une conversion partielle d’antagonismes. Des intentions belliqueuses en partie tempérées restent stimulantes. Sont ainsi produites des techniques nouvelles, fruits de fonctionnements naturels découverts et compris par les savants. Certes, la méreuporie prend fin, le miracle s’arrête avec la victoire finale du plus fort. Restent acquises découvertes scientifiques et inventions techniques. On penserait à tort que les méreupories sont rares. Elles se sont toujours reproduites en fonction d’une fréquence d’États voisins comparables. Et certaines durent longtemps.

2.2./ Les méreupories et les montées conjointes de l’Information et de l’Économie 

La suite des méreupories s’avère lourde de conséquences pour l’histoire humaine. Au moment où le développement scientifique et technique se produit, les pays à son origine gardent les résultats pour eux. Ensuite, intérêt ou prestige, ces résultats se diffusent. A terme, toute l’humanité en est bénéficiaire. Dès lors, la méreuporie produit un second miracle. Elle rééquilibre la place de l’Information par rapport aux trois autres grandes Activités instituées : Religion, Politique, Économie. Dans une grande période de l’histoire, la Religion et la Politique se sont plus ou moins « associées, dissociées » pour conquérir le Pouvoir et s’y maintenir. D’où l’invention des royaumes ou empires. Suite aux gains cumulés des méreupories, l’Information devient la 4e grande Activité.  L’Économie, souvent sa complice, se trouve elle aussi renforcée. C’est ainsi que se profile une nouvelle humanité scindée entre ces deux alliances opposées. D’abord, la tradition de l’alliance de la Religion et de la Politique. Ensuite, on aura l’alliance de l’Économie et de l’Information. Cette rééquilibration des quatre Activités instituées constitue le second miracle de la méreuporie.

2.3./ Montée qualitative au 2e régime de science. 

Les gains quantitatifs ne doivent pas nous faire oublier le précieux gain qualitatif. Il est resté longtemps caché et même ensuite à peine compris. Il s’agit du passage de la science d’un 1er à un 2e régime, fruit d’un saut qualitatif (F. Jullien, 2009) dans les modalités d’étude du réel par l’esprit humain. Il y faut des conditions sociopolitiques historiques favorables. On l’a dit, les méreupories sont interrompues quand triomphe l’un des belligérants. Ayant à gouverner son nouvel empire, il se soucie peu de sciences et de techniques. Il se méfie des acteurs de l’Économie. La méreuporie féconde est finie. Un hasard de l’histoire va changer la donne en Méditerranée. La méreuporie hellène se termine devant le vainqueur macédonien, Philippe. Son fils Alexandre conquiert un empire jusqu’à l’Indus. A sa mort prématurée, ses quatre généraux constituent quatre royaumes analogues et rivaux. Ils reconstituent, autour de la Méditerranée orientale, à plus grande échelle, les conditions pour une nouvelle méreuporie, dite hellénistique. De ce fait, l’évolution des modalités d’étude du réel à travers les conceptions des Thalès, Pythagore, Socrate, Platon, Aristote – peut se poursuivre jusqu’à l’Euréka d’Archimède. Ce rebond « hellène, hellénistique » a eu le temps d’engendrer un 2e régime de science, caractérisé par sa fonctionnalisation hypothético-déductive, sa mathématisation des phénomènes, son dialogue expérimental avec le réel. 

2.4./ L’Europe occidentale : géophysique, socio- et géohistoires

Le concours de circonstances qui s’est produit en Grèce sera suivi d’un autre dans l’Europe classique puis moderne. Cinq dialogiques interférentes constituent sa méreuporie paradoxale. D’abord une dialogique qui a une dimension géophysique qui peut se révéler prégnante si elle rencontre la médiation d’une sociohistoire pour devenir une géohistoire politique. La base physique est la « thalassographie articulée » telle que la nomme Cosandey. Elle pose une différence entre deux sortes de relations terres et mers. Dans l’une, les côtes sont rectilignes, hautes, peu hospitalières. Dans l’autre, les côtes sont très découpées faites de caps, de golfes et de baies voire de péninsules et d’îles. À partir de telles côtes, les territoires ont souvent dans l’intérieur des terres des séparations faites de montagnes et de fleuves qui en descendent vers les mers. Si les conditions sociopolitiques et sociotechniques (vitesse des transports, protection des lieux habités) sont favorables, des pays peuvent trouver dans ces dispositions géographiques un accueil spécifique et même une identité géo-humaine. Un tel morcellement peut faciliter le voisinage de pays de taille politique et de poids économique comparables. Et donc une situation méreuporique de rivalité en partie tempérée. Ce fut un long moment le cas de l’Europe faite de « pays géo-historiquement définis », identifiés, stabilisés. Avec sa méreuporie durable consécutive.

2.5./ Paradoxale méreuporie de l’Europe moderne. Politique, Information, Économie

Au moment où cette méreuporie européenne se décline, l’échec est acquis de toute impérialisation européenne. Davantage, les méreupories hellène, hellénistique ont beau remonter à plus d’un millénaire et demi leur écho est vif. Comme l’est, à un demi-millénaire seulement, celui de la concurrence musulmane soudain surgie aux quasi mêmes lieux, comme le souligne Henri Pirenne (1937) dans « Mahomet et Charlemagne ». L’Europe occidentale ne s’installe pas seulement dans un extraordinaire « découpage territorial » mais encore dans un véritable dialogue comportemental à vif entre terres et mers. Les Vikings sont à Séville dès 844, s’installent en Sicile, opèrent en Méditerranée au cours des 10e et 11e siècles. Au sud, dès le 11e siècle, Venise, intermédiaire commercial entre l’Orient et l’Occident, est déjà une République marchande. Elle l’emporte sur les pirates grâce au gouvernail d’étambot d’origine chinoise et à ses canons légers. Elle l’emporte aussi sur son premier commanditaire, l’empire Byzantin. Son doge refuse de prendre le titre de roi. Prémonition incroyable d’une minimisation du Politique où déjà se place l’Économie. Au 12e siècle, la Ligue hanséatique en Baltique et Mer du Nord tient déjà tête au roi du Danemark. La rencontre de l’Économie et de l’Information qui accompagne toujours les aventures maritimes rebondit plus scientifiquement quand Galilée fait le lien avec le 2e régime de science de Platon et d’Archimède. La méreuporie de l’Europe moderne ne se joue pas sous la menace d’un pouvoir impérial susceptible de l’interrompre. Tout au contraire, elle se joue avec le flot montant des deux Pouvoirs. D’abord, au premier rang, celui d’un « consortium » d’États qui sont tous avec et contre l’autre, comme ils sont avec et contre la Religion. Ensuite, au second rang mais partout à la manœuvre innovante et décisive, on a les Acteurs de l’Économie toujours avec et contre les Acteurs politiques. À la limite, on ferait aussi bien de dire que volens nolens c’est l’Économie informationnelle qui mène le jeu et fait de cette méreuporie européenne son enfant chéri qui grandit avec elle. La méreuporie n’est plus cette simple marge féconde qui se reproduisant bouleverse le monde royal impérial. Elle est maintenant la condition même du Pouvoir montant, économique d’abord, et politique déjà au second plan.

2.6./ La société d’Économie nationale informationnelle. La nation marchande moderne 

Les Acteurs de l’Économie poursuivent leur montée au Pouvoir sur plusieurs plans. Les grandes découvertes maritimes conduisent à l’exploitation coloniale du Monde. Les développements scientifiques, techniques, industriels des pays européens confortent leur rivalité. Les Pouvoirs politiques dominant y trouvent leur compte, aveugles au renforcement du Pouvoir économique. Les choses changent avec la prise de distance effectuée par rapport aux royaumes et empires. Lorsque s’invente la société d’Économie informationnelle nationale, la nation marchande moderne. Avènement retentissant et brutal puisqu’il opère à travers d’abord trois Révolutions anglaise, française, américaine, plus la Révolution russe de 1905. D’Ouest en Est, rois, empereur sont alors disqualifiés, désacralisés. 

3./ Exacerbation des rivalités emmêlées. L’« unité, diversité » manquée : « 14-18 » 

L’interrogation quant à l’inimaginable monstruosité de « 14-18 » et 39-45 » doit d’interroger les violences passées de l’Europe. Elles n’ont pas manqué. Guerres politiques, Croisades, Guerres de religion, colonialismes et esclavages, antisémitismes religieux et laïques. Les pays géo-historiques européens sont pour l’essentiel restés les mêmes. Les apports scientifiques, techniques, industriels de la méreuporie ont bénéficié à chacun d’eux. De plus, le déplacement des rivalités sur le terrain colonial mondial s’est substitué à certaines violences en Europe. Après la dernière tentative impériale de Napoléon, le consortium de ces pays européens durables s’est baptisé d’un joli nom : « Concert des Nations ». Métaphore musicale sur une sombre réalité. L’ensemble des analyses et synthèses qui précède n’est pas de trop pour nous faire entrevoir comment s’est structurée la fabrique de violences qui conduit à « 14-18 » et « 39-45 ». Reprenons à Georges Gurvitch un précieux concept d’analyse  sociologique celui des « étages en profondeur » : trois en l’occurrence. Dans l’histoire identitaire, on ne voit que les pays géo-historiquement identifiés dans leur rivalité constamment vécue, affichée : c’est « La France », « l’Allemagne », « l’Angleterre ». Cela cache la rivalité plus profonde entre Formes de société : modernes nations marchandes et traditionnels empires. Ils ne manquent pourtant pas de s’opposer radicalement. Ainsi, chaque régime politique pense que sa modalité relationnelle aux  gouvernés est la meilleure. Royaumes et empires tiennent à leur fondement religieux. Cette transcendance fonde l’adhésion fidéiste de leurs sujets. Les nations marchandes modernes affirment que leurs engagements démocratiques leur valent estime et adhésion plus profondes de leurs citoyens. Cette nouvelle source d’hostilités masque à son tour la rivalité la plus profonde : l’opposition voire la lutte à mort entre le Politique et l’Économique. Ce tableau d’ensemble croise la violence manifeste dans toute l’histoire européenne avec sa restructuration puis son exacerbation à travers trois grandes sortes de rivalités gigognes. « 14-18 » et « 39-45 » ne peuvent pas être de regrettables « parenthèses de l’histoire ». Il nous reste à découvrir comment dans l’après « 39-45 », les Acteurs de l’Économie sont clairement à la manœuvre. Et plus encore dans l’après « 89 » quand les Etats-Unis instituent la nouvelle société d’Economie financière informationnelle mondiale. 

4./ Les trois Après. Différence et répétition. Finance informationnelle et Monde

4.1./ L’Après « 14-18 » 

Dans l’Après « 14-18 », le « 2e régime de science » devenu scientiste, ayant écarté toute étude profonde et rigoureuse de l’humain, les responsables politiques n’ont pas de véritable science d’une histoire destinale. Ils sont privés des savoirs qui leur auraient permis d’anticiper leur propre fin, voire d’y échapper. Dans ces conditions, ils multiplient les occasions manquées et produisent des « crases » là où les articulations étaient indispensables. Par exemple, ils se fourvoient en renforçant la punition de l’Allemagne vaincue : « l’Allemagne paiera ». Ils laissent l’Allemagne dans son effroyable misère alors qu’elle mériterait mieux, convertie en République de Weimar. Ils la précipitent dans la crase du national-socialisme. Il aurait suffi d’un effort d’intégration économique pour éviter cela.  

4.2/ L’Après « 39-45 ». Guerre froide. Triomphe de l’économie mondiale 

Dans l’Après 2e Guerre mondiale, l’avenir n’est pas garanti mais c’est déjà l’Économie dominante qui est à la manœuvre. Une large part des peuples européens se réclame du communisme. Les pouvoirs économiques soutiennent alors l’Europe avec le Plan Marshall. L’Allemagne s’est convertie en République fédérale. Le Japon rentre aussi dans le jeu. Ainsi, « États-Unis, Europe et Japon » constituent la Triade. La concurrence économique exacerbée en son sein rabaisse les économies de « l’Est ». L’Économie occidentale triomphe. Sa gloire se manifeste à tous quand, sans guerre chaude, l’URSS s’effondre avec une perte territoriale lourde qui la ramène à la Russie. Et quand la Chine amorce une introduction de capitalisme national dans son dirigisme politique. 

4.3./ L’Après 1989 : Occident, Chine, Monde. Crases ou Articulations

Dès lors, les années 90 sont celles dans lesquelles les États-Unis déréglementent, dérégulent la gestion politique des entreprises. Le Politique étatsunien est conduit à libérer son Économie pour la lancer à la conquête du monde. La 4egrande Forme de société est née : une société d’Économie financière informationnelle en mondialisation. L’ensemble des analyses précédentes justifie notre accompagnement des craintes de Daniel Cohen (2009). Le 21e siècle est certes dans une situation différente de celle du vingtième. Pourtant, il y va d’une intelligence de l’avenir menaçant de les rapprocher. Disons pourquoi. Pour comprendre l’inimaginable montée aux violences de « 14-18 » et de 39-45 », nous avons découvert qu’elles avaient pour source une longue continuité qui s’était finalement structurée en trois rivalités cumulées : celle des pays géo-historiques identifiés, celle des Formes de sociétés opposées, celle de la grande coupure entre le Politique et l’Économique. Le parallèle reste pleinement intelligible. On ne dit plus « La France », « L’Allemagne » mais « L’Occident », « La Chine ». Vaincus l’Empire austro-hongrois puis le Reich allemand ». C’est à d’autres empires que l’Occident économique prétend faire face : la Russie, la Chine. Et le parallèle se poursuit. Chine et Russie relèvent prioritairement de la puissance du « Politique », même si c’est avec certains changements. L’Occident relève prioritairement de la puissance de l’« Économie ». Ainsi, en cette fin du premier quart du 21e siècle, les situations sont moins dépassées que reconduites à la véritable échelle de la planète.

Bibliographie

  • Cohen D. 2009 .La Prospérité du vice, Une introduction (inquiète) à l’économie (2009) A. Michel.
  • Cosandey D. 2007. Le Secret de l’Occident. Flammarion.
  • Demorgon J. 2016. L’homme antagoniste. Economica. Traducere din limba franceză de Victor Untilă. Bucuresti: Ed. F. Romania de Mâine, 2017. 
  • Jullien F. 2009. L’invention de l’idéal et le destin de l’Europe. A. Michel.
  • Pirenne H. 1937. Mahomet et Charlemagne. PUF.

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