Word World (par Jacques Demorgon)

Sources : Stiinta s-a nascut in Occident?Traducere din limba franceză de Victor Untilă, Iasi, Roumanie, 2019 : Jacques Demorgon, Etienne Klein 

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Demorgon J., Klein E. 2018. La science est-elle née en Occident ? Une étude de l’œuvre de David Cosandey. Alger : Éditions El borhane

a./ Cosandey soumet ses hypothèses à l’histoire tricontinentale morcelée et contrastée d’un millénaire et demi qui est celle de l’Islam. Avec une première singularité de taille, l’Islam conquérant s’étend sur trois continents. Les pays conquis peuvent bien se convertir à l’islam cela ne va pas gommer toutes leurs bases culturelles antérieures. (De même, en Europe, les peu ou pas romanisés, situés au-delà du limès, auront beau se convertir au christianisme, le catholicisme « romain » se retrouvera plus au sud et le protestantisme plus au nord). 

b./ À la question « cultures des conquérants » et « cultures des conquis » s’ajoute celle des schismes originels. Ceux de l’islam – qui font combien de morts encore aujourd’hui en Irak et au Yémen – sont des schismes du tout début. En effet, ils résultent de l’idée différente que les croyants musulmans se font des héritiers légitimes de Mahomet. 

c./ Cette différence est liée à une troisième singularité qui n’a cessé de traverser l’Islam comme ibn Khaldûn l’a magistralement exposé : la différence de forme sociétale entre tribu et empire. 

Dans la perspective nomade tribale les conquêtes sont distribuées entre les grands acteurs associés et l’héritier du chef est souvent son second, le compagnon le plus compétent et le plus apprécié. 

Dans les empires sédentaires, l’héritage se transmet sur la base familiale. Entre données tribales (bédouines), qui sont ses sources vives, et perspectives impériales, qui constituent son horizon grandiose, l’Islam reste écartelé. 

d./ Cet écart se recoupe avec les oppositions entre les grandes activités : le politique, le religieux, l’économique (le marchand). 

Dans une certaine mesure, le Prophète a pensé pouvoir les prendre en compte ensemble en sa personne déjà. Mais cette synthèse exemplaire personnelle résultant de circonstances exceptionnelles n’a pas prévalu par la suite. Les pesanteurs ont primé les orientations opposées entre le politique – d’inscription territoriale et administrative – et le religieux, déterritorialisé. 

e./ Dès lors, chaque activité s’est encore trouvée divisée en elle- même. Ainsi, le politique, même militaire, entre conquête plus nomade et installation administrative plus sédentaire. De même le commerce, entre ses sources sédentaires de production et le « nomadisme » des échanges. Le religieux était supposé produire (de très haut) l’unité générale promise à tout l’ensemble humain sans limites. Or, il était devenu lui-même la cause d’oppositions absolues irréductibles et meurtrières. 

f./ La question de la complexité de l’Islam comme ensemble géopolitique et des problèmes qu’il devait résoudre tient encore à une autre singularité unique. 

Non seulement il est tricontinental mais sur deux de ces continents il est en présence d’une importante quantité de déserts. Le type de vie qui leur est lié (comme le type de vie des nomades des steppes du nord asiatique) est rude et source du maintien de perspectives quasi tribales. 

g./ Mais, il y a une différence décisive. La Chine a reçu les invasions nomades et les a constamment acculturées à travers le fonctionnement renouvelé, cumulatif de sa machine administrative et culturelle impériale. Avec l’atout de sa persistante centralité géopolitique, elle était là stable, mais mobile aussi, avec entre Nord et Sud, une élasticité d’orientation et une souplesse d’absorption, refuge et reprise. 

h./ Certes, Chaliand et Rageau (2012 : 93) attribuent à la civilisation persane une fonction voisine, du X au XVI siècle au moins, celle d’acculturer les nomades turcophones, récemment sédentarisés, à la gestion étatique et aux mœurs qui en découlent. 

Mais, les nomades turcophones se renouvelaient. Sur la base de leur énergie tribale renouvelée, ils ont fini par se constituer en empire différent englobant et dominant la matrice impériale qui les avait accueillis. 

i./ Sans compter qu’il y avait d’autres centres civilisateurs établis ailleurs et où le problème se posait. Pas plus que la Perse, l’un ou l’autre de ces « ailleurs » ne pouvait tenir pour l’Islam le rôle de centralité unique, massive et pluriséculaire. Ni sur le plan de la géographie physique, ni sur celui des références idéologiques. Nulle part, il n’y avait l’équivalent d’une Chine, un Islam unique transformant de façon unificatrice globale y compris politique et pas seulement religieuse. 

j./ L’Islam contient une telle multitude de références originelles puis issues des diverses régions du monde conquises que chaque unité géopolitique impériale ancienne ou nouvelle n’a jamais pu en venir à bout. C’est tout aussi vrai aujourd’hui, voire plus encore. 

k./ S’inscrivant dans cette analyse d’ensemble, Cosandey (2007 : 370) ajoute encore une donnée : « Alors qu’en Europe occidentale, le roi est pris dans un réseau d’obligations et de traditions antérieures à lui, qu’il doit respecter, le souverain musulman, souvent un chef qui s’est taillé son empire lui-même, peut régner comme bon lui semble. 

Un État sans structures anciennes n’a que son prince à qui se rattacher. » Cela conduit à « la fluidité permanente des États, des villes, des populations, empêchant la cristallisation de l’Islam en nations.» 

l./ L’Islam pluriel, antagoniste en lui-même, inscrit dans une conjonc- ture historique spécifique, la « persistance d’une version idéale à l’unité ». Or, elle est aux prises avec son histoire antérieure et actuelle toujours divergente.

Reste comme une figure d’inachevé. Elle se dissémine de plus d’une façon en présence d’autres aujourd’hui autrement assurées. Ne citons que la Chine « en suite impériale », l’Europe « submergée de nations », les États-Unis en « nouvelle société financière informationnelle mondiale » (Demorgon, 2015). 

m./ Cosandey devait étendre son enquête afin de vérifier que l’Islam, lui aussi, relevait de ses grandes hypothèses. Les unes, défavorables au progrès scientifique : instabilité ou État universel. Les autres favorables comme la méreuporie et la thalassographie articulée. 

Pas ou peu de floraison des sciences et techniques en cas d’État universel omni-dominant ou d’instabilité politique. Par contre, vive floraison en cas de méreuporie, exceptionnel équilibre d’économie prospère et de rivalité politique stable, éventuellement associé à un bon rapport entre terre et mer. 

n./ Il en va bien ainsi en Islam aussi. Avec, dans les conditions spécifiques évoquées, une certaine limitation des méreupories. Voyons comment. Nous évoquerons constats et analyses de Cosandey et de plusieurs historiens spécialistes dont il cite plusieurs lui-même. 

o./ Nous ferons référence, comme pour la Chine, aux dynasties régnantes et à leurs dates. Mais, à chaque époque, nous en aurons plusieurs puisque, tout au long de l’histoire islamique, les centralités sont toujours plurielles. 

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