Word World (par Jacques Demorgon)

4000 ans de laïcisations à suivre La Révolution Prolétarienne n° 815, décembre 2021, p. 22-25:

  • 1./ Laïcité de 1905. Quels faits, quelles séquences et périodisations?
  • 2./ Laïcité et sécularisation. Périodisations plurimillénaires
  • 3./ Gilgamesh ou le contrôle religieux du politique en Mésopotamie
  • 4./ Prophétisme juif, contrôle du peuple de dieu et de ses politiques
  • 5./ Mazdéïsme de Zoroastre. Jaïnisme. Bouddhisme exemplaire d’Açoka
  • 6./ Mahābhārata. Arjuna objecte. Vishnou s’engage. Surprise au paradis
  • 7./ Laos, peuple, mot contrarié dès son origine homérique
  • 8./ Laïcité de 1905, laïcisations sur 4000 ans: à suivre !
  • 9./ Espoir, vouloir, destin. Laïcisations, j’écris ton nom

Sources : Laïcité, Laïcisations d’hier à demain. Religion, politique, économie, information et destins (in)humains

Conférence de J. Demorgon – Journées d’études au Rectorat de Guadeloupe, mars 2020Laïcité Laïcisations

Extraits :

4./ Politique et économie en Europe-occident

On commence à comprendre que les acteurs humains vont pouvoir, ici ou là, tourner le dos à la prégnance de la forme royale impériale des sociétés La raison profonde en est que, même s’ils sont contrôlés, les acteurs de l’économie et de l’information sont de plus en plus autonomes et actifs. 

Par information, il faut entendre non seulement le droit, les lettres et les arts, mais aussi les techniques et les sciences. Celles-ci ont été souvent ralenties mais elles ont aussi bénéficié des rivalités entre les sociétés, comme l’a bien montré David Cosandey (2007).

De leur côté, les acteurs de l’économie sont aussi très actifs et même attentifs aux découvertes scientifiques et techniques dont, si possible, ils se saisissent pour améliorer les explorations, les exploitations, les productions et les transports. Ils pourront d’autant plus le faire que les abus du « politico-religieux dominant » des royaumes et des empires sont de plus en plus critiquables. D’ailleurs, les acteurs politiques et les acteurs religieux se dissocient.

Ainsi, en Europe, l’affaiblissement de l’Eglise catholique et l’avènement du protestantisme est l’un des grands moments de cette dissociation. D’abord, dans les principautés allemandes, les princes n’entendent pas laisser à l’empereur du Saint Empire romain germa- nique la possibilité de choisir à leur place les évêques. En Angleterre, Henri VIII n’entend pas laisser le pape décider pour lui de sa vie privée. Il se sépare de la catholicité et s’autoproclame « chef de l’église anglicane ». Il y aura aussi un gallicanisme en France. Bref, les Etats veulent contrôler le religieux sur leur territoire. Ainsi le politique l’emporte sur le religieux. Il en va différemment de sa relation à l’économique. Les acteurs du politique ont pu opérer ce renversement en leur faveur et au détriment du religieux dans la mesure où le religieux se fourvoie et se déconsidère de plusieurs façons. Mais ils peuvent s’appuyer aussi sur les acteurs de l’économie et de l’information qui vont dans le même sens. Ils sont même plus avancés et plus opérationnels sur nombre de plans pratiques grâce au renfort des inventions scientifiques et techniques, à leurs applications commerciales et de plus en plus aux implications industrielles prometteuses. Ils sont souvent dans une position mixte. D’un côté ils peuvent soutenir, de l’autre, ils peuvent déjà déstabiliser.  Une expression nouvelle témoigne de tout cela : l’économie politique. Elle est nommée dès le début du 17e siècle par Louis Turquet de Mayenne. Titre et sous-titre explicites de son livre se veulent très significatifs : La Monarchie Aristo-monarchique ; ou le gouvernement composé et meslé des trois formes de légitimes républiques ». Presque en même temps (1615) Antoine de Montchrestien publie un Traité d’Économie politique. C’est Alfred Marshall qui passe à L’Économique et à l’économie mais ses Principes d’économie (1890) restent en français « d’économie politique ». Elle est nommée dès le début du 17e siècle par Louis Turquet de Mayenne. Titre et sous-titre explicites de son livre se veulent très significatifs : La Monarchie Aristo-démocratique ; ou le gouvernement composé et meslé des trois formes de légitimes républiques »(aux Etats Généraux des Provinces confédérée des Pays Bas). Presque en même temps (1615) Antoine de Montchrestien publie un Traité d’Économie politique. Nombre d’acteurs humains, faisant largement tourner leurs préoccupations autour de l’économie, celle-ci énonce sa vérité nouvelle en une discipline nouvelle : l’économie politique. C’est désormais l’économique qui structure le politique et non plus l’inverse comme hier. La crise des formes de sociétés entre inspiration théologico-politique d’hier et inspiration économique informationnelle source des révolutions se prolonge différente selon les pays. En effet, au plan planétaire, les situations sont mêlées, parfois même confuses. Royaumes et empires restent présents aux côtés des nations marchandes et rivalisent avec elles. La nation marchande rivalise aussi avec royaumes et empires. Elle pense pouvoir leur reprendre le sacré. Elle entend être elle-même sacrée pour tous ses membres. C’est ainsi que va se préparer le passage des royaumes et des empires à la nouvelle forme sociétale, celle de la nation. Même si dans les futures nations marchandes, les peuples peuvent toujours croire à la vie immortelle, l’image du paradis céleste s’est vue contestée par celle du paradis terrestre. Le mythe du progrès indéfini, pour le moins concurrence le salut éternel, voire le remplace. Finalement, l’économie se libère du politique. C’est Alfred Marshall qui passe à L’Économique et à l’Économie. En même temps qu’il la voit comme en train de devenir une science, il souligne qu’elle ne peut pas se détourner d’une morale soucieuse des fins dernières de l’homme ». Observons que ses Principes d’économie (1890) restent, traduits en français, des « Principes d’économie politique ». Il est vrai, en France, les retournements politiques se sont prolongés sur 116 ans : quatre révolutions (1789, 1830, 1848, 1871), trois restaurations royales, deux empires napoléoniens et trois républiques. Huit régimes politiques de trois natures différentes. On comprend mieux que l’avènement de la laïcité de 1905 sur ce fond de division et d’opposition nationale séculaire. Reste qu’au moment même de la loi de 1905, le politique se trouve déjà sur une certaine fin de règne. Anciens et nouveaux régimes politiques ou, si l’on préfère, anciennes et nouvelles formes de sociétés entrent dans une concurrence irréductible. 

Les grandes activités, qui se veulent matrices d’unification, moteurs du développement peuvent produire des miracles mais aussi des monstruosités. La folie de certaines politiques explose lors de la grande Guerre civile européenne (1914-1945) qui s’étend au monde. Des empires appuyés sur le politique et le religieux ne veulent pas perdre cela tout en s’appropriant les ressources nécessaires de l’économie et de l’information. Ils pensent plus puissante leur conjonction du traditionnel et du nouveau. Ils perdent cependant la Première Guerre mondiale. Ces royaumes ou empires se caricaturent alors de plusieurs façons différentes : fascismes, nazisme,  stalinisme. Hitler propose à son peuple un Reich pour mille ans ! Des monstruosités d’une inhumanité extrême s’imposent : la perversion totalitaire nazie et la Shoah, la perversion totalitaire stalinienne génocidaire en Ukraine. C’est, cependant, allié à l’URSS que Le camp des démocraties l’emporte. Toutefois, même s’ils peuvent relever d’un autre ordre, on ne peut passer sous silence le recours des nations « atlantiques » à la violence extrême sur Dresde, Hiroshima et Nagasaki. Le déficit d’humanité est extrême.

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