Word World (par Jacques Demorgon)

Des interrogations philosophiques sur le Droit à propos de peuple(s) et de citoyen(s) 

Réunification allemande (1989-1990) et démocratie grecque antique

Un moment important de la philosophie du droit le situe entre des interprétations opposées. Selon l’une, le droit serait illusion car les rapports de force entre les humains étant inévitables ce sont ceux qui alors sont les plus forts qui impriment leur marque subjective intéressée à l’instauration, au maintien, au développement de leur domination. Selon une autre interprétation, le droit ne peut pas se ramener à une traduction de la pure force car celle-ci comme telle se passe du droit. Macht geht vor Recht.

Cette interprétation se nuance en une seconde. Le Droit serait, au minimum, une sorte de justification de la force. Une référence à quelques mots grecs peut le suggérer. On nomme régime politique ploutocratique le fait que ce sont les riches qui détiennent le pouvoir. Or le terme a été accompagné voire remplacé par le terme aristocratique qui pose que ce sont les meilleurs qui sont au pouvoir. Il y a bien volonté de justifier (Jus, le droit). Il faut interpréter cette interprétation pour bien la comprendre. Une pensée célèbre de La Rochefoucauld peut nous y aider : « L’hypocrisie, cet hommage que le vice rend à la vertu. » Le fait de vouloir au moins que le droit puisse habiller décemment la violence prouve que la violence ne peut pas être le dernier mot de l’humanité.

Regardons maintenant les noms de certains régimes politiques. La démocratie dit que le pouvoir vient du peuple (demos en grec). La République définit l’organisation politique comme la chose du peuple (étymologie latine). Mais qu’en est-il en réalité ? Il est aisé de constater que la question du peuple n’est jamais clairement et définitivement tranchée. 

Lors de la Réunification des deux Allemagne, la révolte en Allemagne de l’Est a d’abord lancé le slogan « nous sommes « un » peuple. C’était une définition quasi ethnico-politique du Peuple. Un second slogan a rectifié le premier : « Nous sommes « le » peuple ». Cela signifiait l’existence d’un fondement politique juridique de la souveraineté. Elle ne peut provenir que du Peuple. 

Mais alors cela conduit à tout un déploiement législatif pour établir quels sont ceux qui constituent vraiment le peuple au pouvoir et quels sont ceux qui en sont exclus. Par exemple, les femmes l’ont été très souvent et longtemps ! De même les personnes qui ne pouvaient pas justifier d’un certain niveau de revenus.  Même au moment de la Révolution française.

La question est alors : « Qui sont les citoyens ? » On trouvera ci-après (in fine) les résultats d’un recensement démographique en Attique (317-307 AEC) concernant les citoyens et les autres…

Le monde romain a inventé l’expression de « droit des gens ». Elle peut signifier les droits qui ont effectivement cours dans l’organisation et les fonctionnements des pays étrangers. Mais aussi de façon plus originale les droits minimaux accordés par le droit romain aux ressortissants individuels des pays étrangers, ennemis compris. On peut dire que l’on était déjà là sur deux questions liées qui sont toujours d’une brûlante actualité. Celle des « droits de l’homme ». Existent-ils vraiment ? Il faudrait pour cela que l’homme, l’être humain soit reconnu indépendamment de toute appartenance à une société donnée. Les problèmes en cours concernant les réfugiés, migrants et sans-papiers conduisent à réserver toute réponse positive à cette question soulevée par Hannah Arendt et reprise par le philosophe italien, Giorgio Agamben (1995).

Toutes ces données conduisent à encore une 3e interprétation philosophique du Droit. Il n’y a aucune raison fondée de faire du droit une assurance éthique d’emblée. Mais pas davantage de vouloir le « confondre » sous l’aile de la théorie du complot absolu et irréductible. Il est depuis toujours un ensemble d’enjeux et de défis pour les individus, leurs groupes et leurs sociétés. Dès lors qu’il est question de formuler des modalités souhaitables (par toutes les parties prenantes) de façon aussi bien arbitrée que possible et donc le moins arbitraire possible sous l’influence de tels ou tels intérêts privés. Dès lors, le droit est comme toutes les autres entreprises humaines une nécessaire construction jamais achevée toujours à poursuivre. Il est d’autant plus important de la continuer et de la recommencer. Telle serait la 3e interprétation philosophique du droit !

N’en donnons, pour la difficile démocratie qu’un exemple célèbre, celui de l’Esprit des Lois de Montesquieu. Il montre que si les sociétés humaines veulent éviter les graves inconvénients du despotisme, elles doivent mettre en place un système de pouvoirs contradictoires (législatif, exécutif, judiciaire) puisqu’ils doivent être en même temps séparés (séparation des pouvoirs) et articulés entre eux pour que cela fonctionne. 

C’est une base indispensable mais ces trois pouvoirs vont alors se faire la guerre et chacun vouloir l’emporter. Nous vivons cela constamment dans tous les pays plus ou moins démocratiques et ce n’est pas prêt de finir mais peut-être que le jeu si pénible parfois, en vaut quand même la chandelle ? 

Ainsi aucune illusion sur la possibilité de définir et de faire exister une « vraie » démocratie définitive et parfaite. Ce sont certains humains qui le tentent s’ils le veulent parce qu’ils en ont compris l’intérêt à long terme au-delà des intérêts privés. J.D.

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Citoyens, métèques, esclaves en Attique vers « 317-307AEC

Démétrios de Phalère (360-283), élève d’Aristote et de Théophraste – qui sera l’un des fondateurs de la Bibliothèque d’Alexandrie et le promoteur de la traduction de la Bible par les Septante – est au pouvoir entre 317 et 307. Il ordonne un recensement démographique général de l’Attique.  Résultat : 21000 citoyens, 10.000 métèques,  400.000 esclaves (Vioulac, 2018 : 369). Athénée cite le cas exceptionnel d’un ami d’Aristote qui alla jusqu’à posséder 1.000 esclaves. Platon qui n’était propriétaire que de cinq esclaves estime que les gens très riches n’ont en moyenne qu’une cinquantaine d’esclaves.  

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