Word World (par Jacques Demorgon)

Les grandes orientations culturelles. Cours de Formation à l’interculturel

8e leçon. Mondialisation et changements dans la conception des cultures

29. LE CULTUREL C’EST LA PART CONSERVÉE DES RÉPONSES PRODUITES PAR TOUTE ACTIVITÉ

Le point essentiel dans cet énoncé c’est que toute activité humaine est susceptible de produire de la culture. Il n’y a donc pas le culturel, rubrique en pages finales de nos journaux et qui traite en réalité de l’informationnel scientifique, technique, esthétique, ludique et sportif. Le culturel est là, tout autant sinon plus encore, quand on parle d’économie et de politique. Cela devrait être une évidence si elle n’était pas recouverte par une idéologie de l’action stratégique qui se veut et se croit toute puissante. Tous les jours, nos informations décrivent des stratégies politiques ou économiques comme si elles venaient à tout moment d’être inventées par leurs protagonistes transformés en grands ou petits stratèges. Tout est censé se dérouler dans un univers stratégique dont nous ne sortons pas. Comme si les stratèges partaient de zéro et inventaient tout à chaud. Hier, quand les occidentaux étaient enfermés dans leur culture dominante, ils pouvaient se croire les tout-puissants inventeurs de stratégies sans cesse nouvelles et qui devenaient de facto, puis de jure, culture et civilisation. Le culturel était bien vécu comme simple produit des stratégies. Mais spontanément, les stratégies n’étaient pas vraiment pensées comme produites aussi par les cultures. On a cependant fini par voir qu’une stratégie, comme par exemple le communisme, était devenue bien différente selon qu’elle se développait à Londres, Paris, Berlin, Rome, Moscou, Pékin, Varsovie, Prague, Belgrade ou Hanoi. Une stratégie opposée, comme par exemple le capitalisme, ne devenait pas non plus la même quand elle se développait à Washington, Londres, Paris, Oslo, Bonn, New-Delhi, Johannesburg, Tokyo ou encore Shanghai. Notre vision est faussée si elle s’arrête seulement sur les résultats d’une actualité limitée dans le temps. Nous pouvons diagnostiquer des éléments d’homogénéisation, d’uniformisation. Mais ce n’est en aucun cas une raison pour ne définir l’avenir qu’à travers leur généralisation et leur prolongation. Des reprises de diversification peuvent être au même moment déjà présentes mais pas encore visibles. Unification et diversification sont sans cesse à l’oeuvre à travers la dynamique d’ensemble des stratégies et des cultures. Comme cette dynamique est présente dans tous les domaines, la culture comme unification et diversification est partout en cours de production.

Que le culturel concerne tous les secteurs c’est là une vérité de connaissance mais c’est là aussi une conquête fondamentale dans l’ordre de l’exigence éthique. En effet cela veut dire qu’il peut partout y avoir culture ou inculture. Et donc aussi dans le religieux, le politique et l’économique. Aucun de ces secteurs ne peut se dire comme il le voudrait pure stratégie et comme telle innocente, pur fait à l’abri de tout droit et de toute éthique. La raison d’Etat a voulu cela et aujourd’hui la raison économique récidive.

Mais qu’est-ce qui échappe au culturel ? Beaucoup : toutes les conduites ponctuelles, incertaines, produites au hasard, désordonnées, voire pathologiques. Le caractère culturel d’une conduite ou d’un produit, à un moment donné, n’est pas toujours évident. Il y a là une problématique qu’au besoin il convient de laisser ouverte. Disons cependant que l’on peut penser culturel d’abord ce qui est sélectionné pour être privilégié et transmis. Mais dès lors que ces conditions, d’ailleurs très exigeantes sont remplies, nous sommes en présence de culture, même cela va de soi, s’il s’agit de conduites qui de notre point de vue culturel, devraient être écartées de la culture. Revenons toujours à “cultura”. C’est le “travail”, mental et pratique, qui signe la culture.

Ce changement conceptuel fondateur qui fait de la culture une part de tout secteur d’activité humaine, est lié aux autres changements et en particulier au rejet d’une conception de la culture comme simple produit du passé. Tel est le point fondamental jusqu’ici constamment occulté. La culture est présente et aussi en genèse dans tous les secteurs d’activité humaine et à tous les niveaux d’extension, de l’individu à l’humanité entière.

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