Word World (par Jacques Demorgon)

J. Demorgon : « 21e siècle. Lanceurs d’alerte, histoire destinale, antagonisme ensembliste » in La Révolution Prolétarienne n°805, juin 2019.

Aujourd’hui, acteurs politiques étatiques ou acteurs de projets économiques financiers mondiaux ont fait leur la devise « la fin justifie les moyens ». Ils n’ont cure de leurs comportements inhumains. Les lanceurs d’alerte ont informé à leurs risques et périls le « grand public ». Celui-ci oscille entre enthousiasme et absence d’illusions. L’idée l’emporte que les responsables au pouvoir font tout pour le conserver. Les lanceurs d’alerte ne sont pas des Don Quichotte isolés. Ils constituent déjà trois groupes spécifiques dont la synthèse est en cours. Préjudices aux humains et préjudices à la nature sont perçus comme inséparables. L’alerte éthique s’est manifestée en Europe depuis des siècles concernant la misère des populations nationales et colonisées plus encore. En même temps, la nature est aussi traitée sans égards. L’alerte écologique redouble l’alerte éthique. Vies humaines maltraitées et nature maltraitée s’enchainent dans un même aveuglement. Ceux dont les intérêts priment stimulent mais freinent aussi, plus encore, le développement d’ensemble des humains. Ils revendiquent pour leur gloire des miracles qui sont le fruit de tous. Pire, ils soutiennent nombre de miracles mensongers, des techniques truquées aux drogues ravageuses, aux fausses médiations thérapeutiques de « médiators ».Une 3e orientation plus récente est en cours de constitution et ses résultats sont déjà très signifiants. Elle repose sur les progrès considérables de l’histoire humaine globale antagoniste planétaire et millénaire. C’est ce que nous nommons l’histoire humaine destinale, étudiée dans La R.P. (799-803). Cette histoire entière, du 3e régime de science, pose la question du sens que nous donnons à l’existence humaine dans la genèse d’ensemble du monde vivant et pensant au sein du cosmos. La compétition en fait partie comme ressource, non comme fatum absolutisé, fétichisant les vies humaines, les détruisant et détruisant aussi le monde du vivant et du pensant. Les faux absolus – ethno, socio, ego centrés – étroits, immobiles, rigides se condamnent aux pires perversions, régressions, destructions. Les antagonismes des uns et des autres, de l’un et du divers sont clairement au cœur du cosmos mais comme condition des infinis procès de l’évolution créatrice. Ce que nous nommons l’antagonisme ensembliste.

1./ 1er groupe de lanceurs d’alerte contre l’inhumain

1.1./ Ellsberg. Assange :  les crimes étatiques militaires 

Dès 1971, le premier, Daniel Ellsberg révèle les Pentagon Papers, ce qui lui vaut le Prix Nobel alternatif en 2006. Ellsberg soutient Jullian Assange (WikiLeaks) qui, en coopération avec Chelsea Manning révèle des faits d’inhumanité extrême (guerres d’Afghanistan et d’Irak). Trump a fait pression sur l’Équateur dont l’ambassade à Londres abandonne Jullian Assange. Il est sous le coup de diverses inculpations d’ordre privé ou d’espionnage comme dans le cas des informations communiquées à la Russie pour déstabiliser Hilary Clinton pendant la campagne présidentielle. Par ailleurs, Barak Obama a décidé de la libération de Chelsea Manning. Or, elle est de nouveau menacée dans la perspective d’un futur procès de Jullian Assange s’il était finalement extradé aux États-Unis. 

1.2./ Edward Snowden, 2014. La surveillance planétaire

En 2014, Edward Snowden, révèle le système de surveillance mondiale de la NSA dans le Guardian et le Washington Post. Ces journaux auront, à ce titre, le prix Pulitzer. Snowden y a perdu la liberté, réfugié en Russie pour un provisoire qui dure… jusqu’à 2020. La surveillance planétaire est devenue une évidence. Georges Orwell a été le 1er lanceur d’alerte sur ce point dès 1949 à travers « 1984 » son célèbre roman dont c’est le 70e anniversaire. La fiction Big Brother est devenue réalité. 

1.3./ De Viviane Forrester, 1996, à John Doe, 2016. « L’horreur économique »

En 1996, Viviane Forrester (1925-2013) dénonce « L’horreur économique : « Pour la 1ère fois dans l’Histoire, l’ensemble des êtres humains est de moins en moins nécessaire au petit nombre qui façonne l’économie et détient le pouvoir. Au-delà de l’exploitation des hommes, il y a pire…de l’exploitation à l’exclusion, de l’exclusion à l’élimination. » Naguère, P.-N. Giraud (2015) a repris la question dans L’Homme inutile. En 2016, Les Panama Papers (11 millions documents) couvrent 1970-2015 dans 80 pays. Le monde (03.04.2016) précise qu’ils incriminent 12 chefs d’État ou de gouvernement (6 en activité), 128 dirigeants politiques et hauts fonctionnaires et 29 des 500 personnes les plus riches du monde. Le lanceur d’alerte, inconnu, prend un beau pseudonyme : John Doe, l’homme de la rue. La gravité et l’ampleur des malversations de tant de personnalités haut-placées en politique et en économie sont ainsi connues. Le grand public informé conclura de lui-même. La documentation est détenue par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), indépendant depuis 2017 et basé à Washington. 

2./ Un 2e groupe de lanceurs d’alerte. Pour l’écologie planétaire

2.1./ L’écologie : des luttes instituées, rituelles, détournées, retardées 

L’écologie est un néologisme dû au biologiste Ernst Haeckel en 1863. Après une organisation fondée en 1969 à Vancouver au Canada, Greenpeace apparaît en 1971 fondée par Irving Stowe (1915-1974) et Jim Bohlen (1926-2010). Greenpeace est présente dans au moins 55 pays et ses alertes se poursuivent. Le souci écologique est devenu planétaire. Il occupe institutions privées et publiques. Même si quelques grands États sont encore dans le déni, les réunions régulières aux titres exaltants pour l’avenir ont lieu sur toute la planète, dans des villes aux sites enchanteurs. De vastes mouvements de jeunesses internationales se mobilisent et marchent pour défendre un futur dont les adultes n’ont cure. Les résultats ne sont pas à la mesure de tous les dangers. Ainsi des pesticides prolongés au prétexte du sort des paysans qui en sont les premières victimes. Les substituts nécessaires ne font pas l’objet d’assez intenses recherches. À travers son livre L’humanité en péril paru en ce printemps 2019, Fred Vargas, brillante auteure de romans policiers, plusieurs fois primée, s’émeut sur les médias de la 6e extinction en cours des espèces vivantes et de ses conséquences. 

2.2./ Du « ça va de soi écologique » aux contraintes cosmiques de l’écologie informée 

La paralysie l’emporte en raison d’intérêts puissants qui s’imposent. Elle est aussi renforcée par la difficulté à comprendre que l’écologie est la science des écosystèmes évolutifs en (dés)équilibres complexes. Certes notre mépris de ces équilibres est suicidaire. Mais il n’y a pas non plus une simple mère nature pourvoyeuse. Le réel est fait de nombreux antagonismes qui n’excluent pas des situations dangereuses. La genèse de la vie sur la terre a pris 3,8 milliards d’années. Le contexte terrestre dans lequel la vie est apparue a connu de grandes oscillations climatiques. Tout un milliard d’années, il n’y a eu qu’une « terre boule de neige ». Lors d’un autre milliard d’années, la production d’oxygène dans l’atmosphère a été trop faible pour la poursuite du développement de la vie sur la terre. D’où la métaphore d’un milliard paresseux. En ce qui concerne la 6e extinction d’espèces, on a raison de cibler la responsabilité des humains mais il y a eu avant eux cinq extinctions dont l’une à 85%. Dans cette aventure de la vie, l’homme émerge. Il lui faut comprendre ce qu’il peut (ou non) devenir s’il traite mieux le trésor des langages et pensées partagés. Il en a besoin pour prévoir les phénomènes cosmiques qui menacent sa planète et se doter de ressources pour les éviter. Les luttes interhumaines conduisent à l’invention de moyens inconnus pour l’emporter sur les autres, et l’apocalypse atomique n’est pas exclue. En même temps, un tir correctement dirigé contre un astéroïde orienté vers la terre pourrait tout à fait sauver l’humanité. 

3./ Un 3e groupe. Cosmopolitique de civilisations en Histoire humaine destinale

3.1./ Connaissance globale de l’histoire. Alertes sur les orientations présentes 

Les lanceurs d’alerte du 3e groupe se réfèrent à une donnée supplémentaire nouvelle : la connaissance de l’histoire humaine globale planétaire et millénaire, rétrospective et prospective. Ils étudient les évolutions positives et négatives. Quand, selon eux, les erreurs, pourtant connues, reviennent, ils le disent, l’écrivent, le crient. Lanceurs d’alerte qui savent que l’histoire ne se répète pas ! Donc aucune prophétie. Reste le souci de risques dont la probabilité n’est pas négligeable. Des orientations qui ont, hier, entraîné des catastrophes sont réanimées dans l’inconscience qu’elles sont d’un même ordre. L’alerte est de prudence. Plusieurs différentes peuvent même révéler tout un système de menaces en genèse. Ainsi, les trois alertes évoquées ci-après déjà se composent. 

3.2./ « USA, Chine » face au piège de Thucydide

Fin 2018, le débat publie : « Chine – États-Unis : un choc inévitable ? ». J.P. Cabestan (4-15) cite d’abord John Mearsheimer qui dans The Tragedy of Great Power Politics annonce en 2003 « l’inévitabilité d’une confrontation armée sino-américaine ». Cabestan titre « Le piège de Thucydide » vu de Pékin ». Le « célèbre politiste américain Graham Allison » est l’inventeur de la formule du piège. Pour Thucydide, « l’ascension d’Athènes au 5e siècle AEC inspire à Sparte une crainte qui la conduit au projet d’une guerre préventive ». Ce sera la très longue Guerre du Péloponnèse. Graham Allison généralise : une société en position dominante, qui découvre une rivale menaçante, veut la stopper. Graham Allison, précise qu’aujourd’hui, il ne pense pas « une guerre sino-américaine inévitable mais plus probable qu’on ne le croit souvent ». Lanceur d’alerte scientifique, il dirige même une enquête statistique à partir des cinq derniers siècles de l’histoire humaine. Il découvre que sur seize cas au cours desquels « une puissance ascendante a défié une puissance dominante…douze ont débouché sur une guerre ». Graham Allison multiplie l’information : du Financial Times (08.2012), à The New Times (06.2013), puis d’Atlantic Review (2015) jusqu’à son ouvrage : Destined for War. Can America and China Escape Thucydides’s Trap ? Sur ces bases, Pierre Mélandri, toujours dans le débat (2018 : 16-35), traite aussi le problème : « États-Unis – Chine : un jour la guerre ? ». Il rappelle (p.30-32) que de nombreux autres auteurs ont déjà fait part de leurs craintes : « Henry Kissinger dans De la Chine en 2011 ; Margaret MacMillan dans le New York Times du 13.12.2013. ; Georges Soros, en 2015, adjure ses concitoyens de tout faire pour éviter un tel conflit. En 2016, une étude de la Rand précise « La guerre entre les États-Unis et la Chine pourrait être si ruineuse pour les deux pays et pour le monde qu’elle pourrait paraître impensable. Elle ne l’est pourtant pas… Les deux pays ont d’importantes concentrations de forces opérant à une étroite proximité l’une de l’autre ». Pierre Mélandri conclut (p. 35) : « Seul l’avenir nous dira si les dirigeants des deux pays sauront conjurer le passé…coopérant à la solution des grands défis – lutte contre le changement climatique, persistance du terrorisme, prolifération des armes de destruction massive…Ou s’ils commettront les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs et plongeront leurs peuples et, avec eux, le monde dans de nouveaux malheurs ».

3.3./ Pré-fascisation des démocraties 1938, 2018 ? 

Gérard Granel a le grand mérite de soulever très tôt la question dans une Conférence à la New School for Social Research de New-York (11.1990), sous le titre « Les années 30 sont devant nous ». La guerre froide vient de se terminer. L’URSS implose et redevient Russie. La Chine intègre un capitalisme national. Granel s’alarme déjà. Les États-Unis alors superpuissance sans rivale vont s’autoriser des abus de pouvoir. De fait, l’auteur précède de peu l’invention de l’économie financière informationnelle mondiale et les durcissements sur lesquels elle va s’appuyer. En 2014, C. Askolovitch, P. Blanchard, R. Dély dans Les années 30 sont de retour, rejoignent les analyses faites par Gérard Granel un quart de siècle plus tôt. Ils nous donnent une petite leçon d’histoire pour comprendre les crises du présent. Pour eux, comme pour Hannah Arendt et Gérard Granel, quand une société se raidit de plus en plus face aux étrangers migrants, proches ou lointains, elle peut aller, dans sa xénophobie, jusqu’à l’absolutisation meurtrière, à travers guerre et génocide. L’autoritarisme étatique s’installe dans la culture et se renforce. En mars 2019, Michaël Foessel publie Récidive 1938, un titre qui ne doit pas tromper. Il précise lui aussi que l’histoire ne se répète pas. Cela ne doit pas l’empêcher de nous tenir en alerte concernant les incroyables ratés du passé. L’analyse de 1938 suit l’après Léon Blum. L’élimination de celui-ci est à l’évidence le tournant. Il y avait encore peut-être une incertitude sur les positions effectives d’Édouard Daladier, président du conseil des ministres, chef du gouvernement d’alors : « Dans son discours au banquet de la presse, Daladier rappelle son « attachement résolu aux principes des Droits de l’Homme, à l’égalité des races ». Cependant « sa politique, faite d’assouplissement économique et de reprise en main autoritaire est au régime totalitaire qu’elle combat à l’époque, ce que les politiques néolibérales de la décennie passée sont au nationalisme autoritaire qui menace aujourd’hui ». Ailleurs, dans son essai, Foessel risque la formule d’un « pré-fascisme ». Pour 1938 déjà, la formule est douce quand Georges Bonnet, le ministre des affaires étrangères de Daladier « envisage la déportation des juifs étrangers sur une île, sans doute Madagascar. Les nazis étudient cette possibilité en 1940 mais optent pour l’extermination ». Foessel en 38 découvre encore, dans la bouche de Walter Lippmann, la première apparition du terme « néolibéralisme ». Du côté de la capacité d’alerte, il observe l’incroyable avance d’Hannah Arendt concernant la mise en évidence de l’apatridie, déjà banalisée dans le contexte des migrations d’alors. Agamben dans Moyens sans fins en 2005 reprend ces questions. Foessel découvre encore en 38 un autre lanceur d’alerte très connu. Jean-Paul Sartre, à cette date, publie dans Le Mur, la nouvelle « L’enfance d’un chef », singulier exemple d’une conversion à l’autoritarisme. Ainsi, l’année 38, est bien, deux ans après l’incroyable parenthèse du Front populaire, l’année du fléchissement voire du renoncement démocratique. En soutien pour la guerre ? Pour d’aucuns, c’est plutôt pour préparer la soumission au plus autoritaire d’alors, futur vainqueur : l’Allemagne nazie. Une part de la France est manifestement prête pour la collaboration. Tout, plutôt que le risque communiste et le Front populaire. 

3.4./ Maalouf : Ténèbres sur le mondeNaufrage des civilisations : 1979-2019 ?

Les lanceurs d’alerte contemporains appartiennent à tous les registres de la culture. Ils sont physiciens, chimistes, psychologues, démographes, économistes, politologues, sociologues, historiens, philosophes, romanciers aussi. Les romans depuis longtemps ont pris l’habitude de relier, de façon intelligente et sensible, les destins des personnes, des groupes et des sociétés. Amin Maalouf est, lui, à la fois un grand romancier et un grand essayiste. Il publie même en 1983, un livre d’historien : Les croisades vues par les Arabes. Peu aprèsun roman d’anticipation Le 1er siècle après Béatrice qui met en scène la possibilité d’une disparition de l’Humanité. Pour des raisons qui tiennent au hasard des lieux, sa vie s’est trouvée d’emblée confrontée aux tragédies du Moyen-Orient, ce qui lui a même permis d’écrire que c’est à partir de sa « terre natale (le Liban) que les ténèbres ont commencé à se répandre sur le monde ». Amin Maalouf occupe à l’Académie française le fauteuil de Claude Lévi-Strauss. À côté de ses neuf romans et de ses quatre livrets d’opéra il produit en vingt ans trois essais qui forment une véritable trilogie de l’alerte. Les Identités meurtrières (1998) désignent le piège dans lequel se prennent les civilisations. Chaque société absolutise sa propre identité jugée supérieure à celle des autres. Le Dérèglement du monde (2009) est devenu général : esthétique, cognitif, économique, géopolitique, éthique et in fine écologique. Les titres des quatre moments de l’ouvrage sont d’une clarté tranchante. Après l’effondrement de l’Urss, l’Occident grisé ne peut comprendre ni « les victoires trompeuses » ; ni « les légitimités égarées » entre religion politique, ni « les certitudes imaginaires » accrochées à la seule économie financière mondiale. Maalouf espère encore. Ce n’est pas la « fin de l’histoire » mais « de la préhistoire ». Pourtant le dernier ouvrage de la trilogie titre violemment Le naufrage des civilisations (mars 2019). C’est un « roman monde », un « drame monde » voire une « tragédie monde ». Et surtout un profond travail d’historien. Son analyse approfondie requiert un article à elle seule. D’autant plus que sur ces bases, on pourra mieux comprendre à quelles conditions pourrait être inventée une cosmopolitique de civilisations en Histoire destinale. 

4./ Temps des lanceurs d’alerte, humanité en suspens

4.1./ L’humanité scindée : le néolibéralisme et ses « ennemis »

On doit au livre exceptionnel : Il faut s’adapter de Barbara Stiegler (2019) une analyse performante des processus par lesquels la pensée néolibérale a été construite par Walter Lippmann qui invente le terme « néolibéralisme » en 1938. Son parti pris est alors de faire passer le terme « révolution » d’une perspective imaginaire à une perspective factuelle. Il veut corriger le contresens de l’acception courante sur la condition humaine. Celle-ci est toujours compétitive au sens darwinien de la sélection naturelle. La révolution conservatrice, la seule fondée, est ainsi, pour lui, positive, scientifique, réaliste et non sentimentale. On comprend mieux de ce fait la tendance à la certitude voire à l’arrogance des néolibéraux. Leur « pensée unique » n’est, pour eux, que le verdict des « faits ».

4.2./ Déni de la complexité du réel et de son antagonisme ensembliste !

Le problème incompris par cette pensée néolibérale est celui de l’antagonisme au cœur du cosmos, comme de la vie et de la pensée. Précaution créatrice, l’antagonisme ne pose pas la possibilité pour chaque pôle de détruire l’autre. Tout au contraire, c’est l’irréductibilité de chaque antagonisme qui fonde la fécondité poursuivie de l’évolution créatrice. Celle-ci a fait ses preuves en franchissant d’immenses étapes : de la lumière à la matière, de la matière à la vie, de la vie à l’esprit, toutes s’articulent et demeurent fonctionnelles, processuelles. Il y a conjugaison de grandes oppositions non pour que l’une d’elles soit validée, à travers son annihilation des autres, mais pour que toutes ensemble continuent d’inventer infiniment. Ce que nous nommons « l’antagonisme ensembliste ». S. Jay Gould a montré combien la sélection naturelle était autrement plus complexe que la caricature qu’en donne le néolibéralisme. Elle rebat les cartes, moins pour imposer et éliminer que pour produire la chance d’un nouvel équilibre d’ensemble ponctué d’un niveau supérieur en quantité et en qualité. 

4.3./ Les équilibres ponctués de l’histoire humaine et l’accès à l’histoire destinale 

L’humanité avance elle aussi par équilibres ponctués. Le plus connu et celui de l’« association, dissociation » des unifications politiques et religieuses. L’équilibre ponctué suivant, est en cours sur la base d’une nouvelle « association, dissociation » de l’Économie et de l’Information. L’humanité est dès lors scindée et reste ambivalente. Là se situe l’immense problématique actuelle du journalisme, plus ou moins conscient qu’il s’inscrit dans l’Information comme antagoniste des autres unifications dominantes religieuses, politiques, économiques. Le journalisme reste écartelé entre soumission et autonomisation aussi bien en Occident qu’en Orient. D’où, dans cette attente, l’émergence de la voie précieuse, indispensable des lanceurs d’alerte. Elle fait en ce moment un progrès que cette contribution souligne. Elle complète et englobe la procédure qui passe par l’héroïsme. D’une part, elle se généralise et s’organise en déjà trois grandes perspectives. Elle est éthique, écologique et se range dans une histoire destinale entière, scientifique, rétrospective et prospective, en cours de constitution. Cette extension est le prélude d’une meilleure conquête indispensable d’un plus grand public d’acteurs humains. En effet, sans lui, la part aberrante de la praxis humaine scindée entre prétendu néolibéralisme, ici, et autres politiques autoritaristes ailleurs, ne peut que se maintenir et conduire à de nouvelles catastrophes. Faut-il continuer ainsi pour qu’il y ait in fine une autre fois, une fois de trop, le jugement dernier !

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