Word World (par Jacques Demorgon)

L’écologie entière

Après « humains et non humains » (La RP 809) et « L’Écologie première » (La RP 810), c’est « L’Écologie entière » que nous présentons en poursuivant l’étude de l’œuvre de Philippe Descola. Elle nous ouvre à la révolution mentale qu’il accomplit en ne séparant plus humains et non humains. Pour cela, il doit être précis et, parfois, doit employer le seul mot qui convient quand bien même ce serait un terme absent du langage courant. Ainsi du mot « ontologie » omniprésent dans son œuvre. Une fois défini, le mot n’est plus un obstacle.

1./ Un 21e siècle en mégacrise 

Avec la chute du World Trade Center (2001), le début du 21e siècle est marqué par tout un ensemble d’évolutions tragiques ou menaçantes. La crise est toujours là. Elle a déjà engendré de nouvelles disciplines comme avec le catastrophisme éclairé. Elle continue de le faire avec la collapsologie. Edgar Morin (2020 : passim) la nomme « mégacrise ». Elle réunit crise économique endémique, défi non relevé du réchauffement climatique, guerres sans issue en Syrie, en Lybie, au Cachemire et bien d’autres. Fin 2019, elle s’accroit d’une nouvelle pandémie planétaire virale. Le grand public s’interroge avec chercheurs, penseurs et experts sur cet ensemble d’impasses. Il apparaît de plus en plus que les actes de tous, y compris des gouvernements, sont presque toujours en-dessous de ce que requièrent les situations. Des informations contradictoires, où les fausses souvent l’emportent, déboussolent et découragent. La réorientation nécessaire des implications des uns et des autres est sans cesse freinée et reportée. 

2./ L’œuvre de Philippe Descola. L’Écologie première et entière

Dans « Humains et non Humains » (La R.P. 809, 2020), nous avons montré le profond changement de paradigme opéré par Descola : la réintroduction des non-Humains dans la configuration destinale des Humains. Plusieurs renouveaux étaient déjà dans l’air du temps. Ainsi dans les sciences puis dans les mœurs dès le 20e siècle. À la suite des deux Guerres mondiales monstrueuses, la métaphysique et la science ont été, grâce à Levinas, remplacées par l’éthique enfin mise au rang de philosophie première. Descola prolonge cet avènement de façon décisive. En effet, l’extension de l’éthique à l’ensemble « humains et non humains » réunit non seulement ceux-ci mais nous oblige à ne plus séparer l’éthique et l’écologie. L’éthique commune avait déjà fait la preuve de son insuffisance compte tenu des guerres, des esclavages, des servages, des salariats prolétarisés. Cela coïncidait avec l’inhumanité multipole de traitement des non humains. Éthique, Écologie réunies se soucient ensemble de la totalité du monde de la vie et de son nid cosmique, Gaïa, la Planète-Terre, la « Pachamama » (Terre-Mère) pour les peuples premiers des Andes. l’éthique et l’écologie, devenues inséparables, constituent la source d’une nouvelle manière de voir, de vivre et de penser. Avec sa traduction au plan du Droit. Encore faut-il, pour cela, qu’il ne s’agisse pas de l’écologie simplement instrumentalisée pour sauver une politique impuissante ou rapiécer une économie pervertie. 

3./ L’écologie entière des 4 ontologies écologistes 

L’Écologie entière de Descola recèle l’antidote aux dévoiements économiques antérieurs toujours présents et à ceux nouveaux déjà en cours, y compris ceux de l’écologie elle-même. Ce n’est pas parce que l’écologie n’a été clairement nommée qu’en 1866 qu’il faut la considérer comme nouvelle voire même pas encore mature. En fait, l’Écologie a toujours existé dans les faits vécus par les humains. Cela dès la préhistoire, l’histoire antique et médiévale puis l’histoire moderne et postmoderne. Nous l’avons vu, les perspectives, les pratiques et institutions antérieures déjà présentées – totémisme, animisme, analogisme – ne sont pas périmées. Même avec leurs biais idéologiques, leurs étonnants et précieux contrastes s’imposent face à l’assurance prétentieuse du naturalisme, l’écologisme actuel, le plus négligent qui soit de l’écologie. Pour mieux comprendre la persistance actuelle à la surface de la planète de ces quatre écologismes, il nous faut comprendre pourquoi Descola les nomme des « ontologies ». Nous l’avons dit, le mot ne doit pas effrayer. L’ontologie est, en Grèce antique, la discipline philosophique qui souhaite procéder à l’identification des êtres. Totémisme, animisme, analogisme sont trois ontologies ou trois façons originales de voir, de penser et de vivre entre êtres humains et non-humains. 

Au journaliste philosophe (Rousseau, 2010b) qui, de son côté parle de théorie, Descola précise : « Une théorie est réflexive, l’ontologie elle-même n’est pas réflexive mais elle peut faire l’objet d’un travail réflexif. » Émergence du vécu global de ses découvreurs-inventeurs, chaque ontologie est toujours un mélange de réelle connaissance écologique et d’idéologie résultant de tous les intérêts subjectifs. Quelle que soit leur base écologique, les ontologies ne peuvent pas êtrenommées des écologies, ce que seraient des études réfléchies et poursuivies. Nous devons les nommer des « écologismes ». Ce suffixe « isme » souligne que les ontologies sont des cultures toujours mêlées de savoir et d’idéologie. Chaque ontologie l’est à sa façon qui mérite d’être connue et comprise. On ne peut prétendre que totémisme, animisme, analogisme sont dépassés du simple fait du progrès de la science. Au lieu de les récuser à la légère nous devons accéder à leur intelligibilité propre. Ce n’est pas parce que le naturalisme, 4e ontologie, se décerne lui-même le label de la vérité qu’il faut le croire. Observons plutôt qu’il en est venu à positionner les êtres humains dominant comme en droit de décider du destin des autres êtres : humains et non humains. Le naturalisme fonde le capitalisme comme étant l’économie en quelque sorte « naturelle » et normale » des humains. L’Écologie entière avec ses analyses synchroniques et diachroniques contrastives est indispensable pour confondre cette prétention. 

4./ Naturalisme, monde de séparations, fausse autonomie de l’humain  

Si Descola tient à nous faire découvrir les trésors des cultures premières comme ceux des civilisations antérieures au naturalisme, c’est pour que nous soyons à même d’y trouver les antidotes nécessaires. Nous l’avons dit, l’écologie, comme connaissance et réflexion, doit pour chacune des quatre ontologies distinguer sa dimension d’idéologie partiale et sa dimension de vérité partielle. Descola est même attentif à ses propres pentes idéologiques toujours possibles. Quand un journaliste (Actu-Philosophie, 2010b) lui dit : « Vous dénoncez… ». Il rétorque : « Je ne dénonce pas, j’analyse ». En effet, ses analyses exemplaires nous révèlent que le naturalisme, qui se formule au 17e siècle, ne va pas cesser de se construire ensuite. De même, c’est dans un passé remontant au moins jusqu’au néolithique de la domestication végétale et animale systématique que le naturalisme s’est amorcé, esquissé, commençant de réunir ses composantes. Lors de cette double gestation plurimillénaire, ancienne et moderne, il devient le véritable nœud gordien idéologique qu’il est encore aujourd’hui. Voyons ce parcours. La 1ère partie de Par-delà nature et culture s’intitule « La nature en trompe-l’œil ». Trois sous-parties mettent en œuvre des analyses raffinées de l’idéologie sophistiquée du naturalisme. Descola (2005 : 19-90) y présente d’abord le glissement d’une logique du « continu » entre la nature et les humains à celle du « discontinu » entre eux. Par exemple, à travers la progressive opposition du « sauvage et du domestique ». C’est en fait sa propre autonomie par rapport à la Nature que l’humain poursuit au long de ce parcours. Celui-ci va passer par sept autonomies en miroir. Cela commence avec (1) l’autonomie de la Phusis (nature) des Grecs que ceux-ci identifient déjà comme ce qui se découvre séparée des volontés humaines (Descola, 2005 : 99-102). Cela continue avec (2) l’autonomie de la « Création » qui pour sa genèse ne dépend que du Dieu unique des monothéismes. Ces autonomies vont s’exprimer dans la peinture comme art représentatif avec (3) l’autonomie du « paysage ». À l’exemple du peintre flamand Roelandt Savery, vers 1606 (Descola, 2005 : 91-99). Le spectateur humain est représenté en extériorité par rapport à une nature, elle aussi en extériorité, devenue paysage englobé par le regard humain. Rien d’étonnant à ce qu’ensuite, à l’époque moderne, on parvienne à (4) « l’autonomie de la nature », étudiée par une science objectiviste qui la sépare de la subjectivité humaine. Cette coupure établie, et la subjectivité humaine elle-même isolée, on aura comme conséquence (5) « l’autonomie de la culture », elle aussi séparée, isolée, ce qui advient aux 18e et 19e siècles. Descola (2005 : 118-131) fait encore un pas supplémentaire car cette séparation démultipliée relève d’un processus qui la réalise. Descola met en évidence (6) « l’autonomie du dualisme ». Il est le processus répété qui engendre cette succession d’autonomies séparatrices. La dualisation contrastive, quasi-automatique, s’exprimait déjà autrefois dans les cosmogonies. Elle a ensuite conduit à la prolifération des savoirs singuliers humains et à leurs classifications. Certaines sont posées comme « physiques », « objectives », « naturelles », même si elles sont aussi les produits d’une culture scientifique. D’autres classifications sont posées comme sociales, subjectives et culturelles, même si elles font aussi partie de la nature. C’est toujours le dualisme simplificateur qui le permet ! Descola souligne l’étendue des dégâts. Un mot d’origine grecque « ethnos » (peuple, ethnie) se met à la portée de cette prise de conscience de la discontinuité morcelante infligée aux mondes sociaux. Descola (2005 :124),proche d’une dénonciation, écrit : « Aux deux ancêtres qu’étaient l’ethnobotanique et l’ethnozoologie sont ainsi venues s’ajouter l’ethnomédecine, l’ethnopsychiatrie, l’ethnoécologie, l’ethnopharmacologie, l’ethno-astronomie, l’ethno-entomologie, et bien d’autres encore ». Le « mécanisme dualiste » de l’autonomie démultipliée conduit finalement à (7) l’« autonomie des mondes ». L’idéologie de la distinction-séparation est devenue l’idéologie d’un naturalisme « sécateur ». L’erreur, la faute de logique et d’éthique, c’est de passer des distinctions aux oppositions et séparations en leur donnant une valeur absolue. Distinctions et séparations sont relatives et ne doivent en rien mutiler ainsi le réel. Toutes ces mutilations affectives et logiques font que le naturalisme tombe finalement de fait dans la mutilation de la nature à commencer par celle des humains et des non humains, à continuer par celle de la planète. 

5./ Les 4 ontologies, fil rouge de l’histoire, révolution mentale et pratique

Déçu par une philosophie historiciste occidentaliste puis par une « ethnologie » de pièces et de morceaux encyclopédiques, Descola découvre qu’il nous faut aussi sortir d’une autre évidence trompeuse le « privilège accordé au sociologique … c’est-à-dire à l’existence de formes sociales projetées sur le monde (formatage social) comme déterminant tout le reste. Comme Durkheim, on « dérive le psychique du social … L’analyse des mythes exceptée, Lévi-Strauss aussi, part de l’étude des institutions et remonte vers l’intellect ». Philosophie, ethnologie, sociologie, histoire nous laissent empêtrés dans notre anthropocentrisme naturaliste. Descola (2005 : 124-131) doit retrouver le fondamental écologique que délaisse le naturalisme à travers toutes ses séparations. On ne peut pas judicieusement éviter de prendre en compte les non-humains (nature et surnature mêlées). Loin qu’il n’y ait qu’opposition, séparation, isolement, discontinuité entre nous et eux, nous sommes toujours aussi en composition, conjonction, réunion, association, continuité avec eux. Très concrètement, les mains des humains sont reliées aux branchies. Les premiers organes génitaux et leur coït reproducteur ont émergé dans le monde des poissons placodermes, il y a quelques millions d’années. Quant au fondamental culturel, il se trouve dans le tout immémorial des 4 modalités ontologiques selon lesquelles nous comprenons humains et non-humains comme semblables ou différents de ces quatre façons. Pour Descola (2005 : 180) « un système de relations n’est jamais indépendant des termes qu’il unit. C’est à ce prix que le totémisme et l’animisme peuvent renaître… Ils deviennent alors, en conjonction avec l’analogisme et le naturalisme, les pièces d’une sorte de syntaxe de la composition du monde (avec ces 4 ontologies écologistes) d’où procèdent (ensuite) les divers régimes institutionnels de l’existence humaine. » Les quatre ontologies sont les sources des diverses genèses socioculturelles, institutionnelles consécutives, comme des conduites éthiques, pratiques, techniques. Du côté d’une herméneutique destinale des humains et non-humains, les 4 ontologies vont du cœur de la préhistoire à nos jours. Elles résument de façon profonde, complète, cohérente, des dizaines de milliers d’années de l’aventure humaine.  Aucun livre, à notre connaissance n’avait encore fait un tel travail d’analyses et de synthèses sur une aussi longue durée. Cela passe par l’obligation de se représenter en profondeur destinale les ontologies retrouvées et « restaurées ». Aucune de ces quatre ontologies ne peut prétendre être « la » vérité ? Par contre affrontées ensemble, elles délivrent les vérités dont nous avons besoin. Par exemple on voit apparaître le choc violent et profond entre les deux ontologies historiques millénaires. La première, « l’analogisme antique et médiéval », tente de faire primer le tout sur les parties pour associer celles-ci. La 2e ontologie historique, « le naturalisme moderne et post-moderne » est dans un contre-pied absolu. Il fait primer une partie des humains posés comme supérieurs puisque cultivés, dynamiques et entreprenants sur les autres humains et sur les non-humains. On observe que Descola – de façon originale fortement renouvelée du côté de l’écologie – est cependant en accord avec nombre de travaux sociohistoriques antérieurs menés autrement. Ne serait-ce qu’avec ceux de Karl Polanyi (1983, 1942) ou de Louis Dumont (1991, 1977 ; 1979). Celui-ci opposait les sociétés « holistes » de l’histoire antique et médiévale aux sociétés « individualistes » de l’histoire occidentale moderne et post-moderne.

6./ Ontologies et politiques. Avec Nicolas Rousseau d’ActuPhilosophie

Les quatre ontologies intriguent beaucoup. Au plan synchronique, sont-elles un tour de force logique ou un coup de dé au hasard ? Ou bien encore, une pure abstraction ou une structuration concrète de cet ensemble d’ontologies culturelles effectives ? Au plan diachronique, sont-elles une extraordinaire intuition-découverte-invention ou un simple décalque de la préhistoire et de l’histoire connues ? L’entretien avec Nicolas Rousseau (2010b) fait magnifiquement le point. Descola apporte des réponses précises nuancées. 

Premier point. Nous avons vu que concernant les identifications des « Humains et des Non-Humains semblables ou différents », Descola, en effet, ne se pose la question que de deux points de vue : leur physique et leur intériorité. Il en est bien conscient, il le dit : « il y a d’autres modes de différenciation : « temporalité, spatialisation, catégorisation… ». Mais il avait à l’esprit qu’il fallait choisir les différenciations fondamentales. Il dit que ce qui lui est « apparu comme premier, c’était ces deux termes « physicalité, intériorité » pour identifier « H. et N. H.  ». Il revendique son choix. Il fait même un clin d’œil à l’anthropologie structurale de Lévi-Strauss quand il dit : « l’approche que j’ai développée pourrait être qualifiée d’ontologie structurale. Elle met l’ontologie, c’est-à-dire les distinctions en termes de qualités, au point de départ, tout le reste en découlant. » C’est d’abord une hypothèse faite pour être infirmée ou confirmée. Descola (2005 : 332-337) s’y est d’ailleurs essayé. Ainsi, à propos de la catégorisation, ses modalités diffèrent bien en fonction des quatre ontologies. Les « deux grandes formes de la catégorisation – prototypique et par attributs – correspondent à certaines ontologies. Par prototype pour l’animisme et le naturalisme ; par attributs pour l’analogisme et le totémisme… ». Même s’il s’emploie aussi à montrer que ce sont des primats et non des exclusivités. Au-delà des « questions épistémologiques », il a fait de même concernant  « l’organisation des collectifs – ce qu’on appelle habituellement la sociologie ou l’organisation sociale. » Descola (2010a et b) ajoute : « Maintenant, je regarde cela du point de vue des images. » Ces travaux lui permettent de conclure : « A mon sens, c’est l’ontologique qui prime ». Deuxième point. Il concerne la dimension diachronique, celle de la présence effective de ces ontologies dans les temps millénaires de l’aventure humaine préhistorique puis historique. Descola reconnait qu’il a « fait ces propositions de manière un peu aventureuse (je ne suis pas spécialiste de l’histoire universelle). » Un peu aventureuse, mais certainement pas plus. À ce sujet, il aborde l’épineuse question du totémisme, mais aussi la prise de risque qu’il assume pour penser l’analogisme comme unité de l’histoire antique. À cet égard, il souligne : « aussi loin qu’on aille dans le monde du Proche-Orient et de l’Egypte, on trouve les caractéristiques de l’analogisme. Son interlocuteur poursuit : « Dans l’analogisme, il s’agit d’englober harmonieusement des êtres tous dissemblables répartis sur une sorte d’échelle graduée. » Descola fait écho : « C’est arriver à totaliser. Dans un système où tout est singulier, arriver à prendre un point de vue unitaire sur ces singularités ». Toujours sans être démenti, Rousseau précise : « il faut alors trouver un personnage supérieur sur qui repose l’harmonie. » On comprend que l’on est là dans un temps de développement de l’histoire caractérisé par une problématique spécifique commune bien que décalée selon les lieux et les pays. Il s’agit de la nécessité de parvenir à l’unification harmonique, sinon harmonieuse, de sociétés massives très diversifiées, très composites. Contribution cognitive fondamentale, celle de la souplesse de tissage des différences qu’opère l’analogie. Cette unité de l’analogisme, à travers les espaces et les temps, incroyable à première vue,  se comprend reliée au problème général de la difficile constitution de sociétés massives, diversifiées et durables. Au fil du temps d’autres chercheurs font diversement écho à l’analogisme. Descola cite Geoffrey Lloyd (1992, 1966) : « son premier livre Polarity and analogy, porte sur l’usage de l’analogie dans la pensée grecque ». Il ajoute  « L’idée d’analogisme est aussi sollicitée comme moyen de comprendre les systèmes méso-américains. » Donc il y a d’importantes et nombreuses rencontres entre les ontologies définies et nommées par Descola et l’aventure humaine effective. Il conclut : « des gens se saisissent bien de ces catégories pour l’analyse compétente notamment des historiens. » Structure et histoire : Descola réussit le mariage hier impossible entre l’historicisme de Sartre qui fait primer l’histoire évolutive des sociétés et le structuralisme de Lévi-Strauss qui fait primer les structures fondamentales anhistoriques de l’expérience humaine. Troisième Point : Les réponses qui précèdent nous laissent l’esprit libre pour nous interroger sur la 3e question la plus difficile. Celle de la façon dont les 4 ontologies font face au présent et à l’avenir. Surtout la 4e ontologie, « le naturalisme », puisque c’est à elle que, depuis près de trois siècles, nous confions le destin en cours des humains et des non-humains… Dans cette optique, Rousseau (2010b) avance avec un bel imaginaire consensuel : « Pour vous qui avez étudié ces quatre schèmes, est-il possible d’aboutir, sinon à une synthèse d’eux, du moins à une vision moins partiale et partielle des rapports entre l’homme et le monde ? Descola réagit : « Une vision unitaire ? Non, ce n’est pas mon genre les synthèses œcuméniques. » Il s’empresse de retrouver la terre ferme des oppositions ontologiques pour indiquer leur profonde portée au plan politique. D’abord, ce n’est pas parce que les peuples premiers totémistes et animistes sont aujourd’hui peu nombreux que leurs ontologies anciennes et actuelles sont récusables. Ensuite, si l’on cherche des sociétés massives qui se conforment encore à leur ontologie originelle – l’analogisme – tout en commençant d’entrer partiellement dans le « naturalisme », la Chine est toute indiquée. Descola le souligne : « Des antagonismes très forts entre l’Occident… et la Chine » ont bien à voir avec l’opposition de leurs ontologies. Descola explique : « du point de vue de la théorie politique, le système des gouvernements collectifs qui s’est mis en place avec l’idéologie des Lumières, déjà naturaliste, position des sujets, égalité isométrique… va à l’encontre des modèles analogistes qui permettent de penser l’intégration d’une foule de sujets par des dispositifs d’équilibre. Les Chinois parlent d’harmonie. Le mandat céleste de l’Empereur était de maintenir l’harmonie entre les composantes humaines et non humaines de l’Empire. Ce que fait le secrétaire général du Parti communiste. C’est la même chose aujourd’hui. Il y a un affrontement d’un modèle contre un autre… Les oppositions ontologiques sont toujours là … Les malentendus sont toujours là… la synthèse œcuménique n’est pas pour demain ». Descola évoque ensuite d’autres « malentendus politiques à base ontologique… ceux qui, par exemple, concernent la Bolivie ou l’Équateur. L’opposition traverse la Bolivie elle-même entre les gens de l’Altiplano et l’est du pays. Toute cette actualisation de la révolution mentale de Descola, nous la continuerons en présentant les positions et propositions de Descola au cœur de la pandémie planétaire du Covid19, grâce à un entretien avec lui mené à bien par Nicolas Truong en 2020. Ils y traitent de Naturalisme et capitalisme à travers constats, analyses, avenir. Nous n’avions pas compris avant Descola cette genèse de l’ontologie naturaliste sans laquelle le capitalisme n’aurait pas si facilement fait son chemin. Conjointement nous verrons la 5e et dernière partie de Par-delà nature et culture : « L’écologie des relations ». Elle aussi se réfère aux 4 ontologies. Sous ce jour relationnel supplémentaire apparaitront encore clairement les déficits du naturalisme.

Bibliographie

  • Descola Ph. 2018. Les natures en question. Paris : O. Jacob.
  • – 2017, 2014. La composition des mondes. Entretiens avec P. Charbonnier. Flammarion.
  • – 2015, 2005. Par-delà nature et culture. Paris : Gallimard.
  • – 2010a. La fabrique des images. Somogy, Édition d’art.
  • – 2010b. En entretien avec Nicolas Rousseau, Actu-philosophie. en ligne.
  • Dumont L. 1991, 1977, Homo aequalis II. I. Gallimard.
  • – 1979. Homo hierarchicus. Gallimard.
  • Llyod G. 1992, 1966. Polarity and analogy in Early Greek Thought. Cambridge U.P.
  • Morin E. 2020. Changer de voie. Les leçons du coronavirus. Denoël.
  • Polanyi K. 2009, 1983 [1942]. La Grande Transformation