Word World (par Jacques Demorgon)

Traduction en français de Nelly Carpentier : In Edouardo Natale (Università degli studi di Modena e Reggio Emilia):

Analyse de la communication interculturelle avec le modèle théorique de Jacques Demorgon : dissociation existentielle et association communicative

L’article entend aborder le concept de «communication interculturelle» présent dans la méthodologie du théoricien français Jacques Demorgon. Les travaux de Demorgon soulignent la nécessité de la construction d’un « troisième » espace appelé « intérité » afin de créer cette « dissociation existentielle et association communicative » comme condition cruciale de la rencontre. Avec cet article, nous explorerons la méthodologie de Demorgon dans l’ordre faire connaître ce système théorique «interculturel» en dehors du contexte académique français et élargir le débat autour de la communication interculturelle. 

Mots clés : méthodologie interculturelle – modèle de Jacques Demorgon – France

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Le sens de cet article est de faire connaître les travaux du théoricien français de la communication interculturelle Jacques Demorgon en se référant aussi à l’article de Christophe Morace intitulé « Comment développer les compétences interculturelles par apprentissage expérientiel ? Applications et implications de la théorie de Jacques Demorgon » (Morace, 2011) – Submitted on 6 Jun 2016 (https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00497548/document)

Les principes théoriques mis en place par Jacques Demorgon concernent la sphère philosophique, psychologique et sociologique au sens le plus général possible. C’est donc une perspective à très large horizon pour circonscrire l’action de la communication interculturelle. Pour mieux comprendre cette approche de la communication interculturelle, il est nécessaire de préciser la vision de l’individu dans le cadre méthodologique du théoricien français.

Selon Demorgon, chaque individu est un individu biologique (en termes naturels) et humain (au sens psychologique), l’individu est sujet et objet, acteur et produit de nombreuses orientations existentielles en tant qu’être : ressentir, avoir, agir, connaître, devenir et advenir (Demorgon, 1996). Pour Demorgon, l’individu est à la fois porteur d’unité et de diversité. De cette manière, il devient plus clair que chaque individu est lié et séparé des autres mais aussi lié et séparé de lui-même. Pour Demorgon, avant de parler d’échange interculturel, il est utile de rappeler comment chaque forme d’échange avec l’autre n’est possible que si l’individu est capable de se dissocier d’avec lui-même (Demorgon, 2003) pour permettre la rencontre. Cette dissociation relève de la liberté de l’individu-acteur qui peut décider de s’ouvrir ou non à lui-même ou aux autres. L’échange vrai n’est possible que si l’ouverture et la fermeture sont librement conçues par la personne envers elle et envers les autres. L’individu peut décider de cette dissociation de lui-même et des autres et à travers cette ouverture / fermeture existentielle il peut entrer en association communicative. La dissociation existentielle et l’association communicative représentent les préalables initiaux que Demorgon pose en bases pour un échange interculturel libre et conscient des personnes (Demorgon, 2004). 

Pour l’auteur français, les notions de «bonne volonté» et de «mauvaise foi» sont des piliers importants de la communication interculturelle. Le concept de «dissociation existentielle et d’association communicative» se caractérise par une complémentarité due à un lien profond et au maintien de cette contradiction entre les deux orientations, qui ne doivent pas disparaître ou s’annuler pour favoriser l’une des deux composantes. Cette complémentarité est une condition nécessaire mais non suffisante pour obtenir d’appréciables résultats dans le domaine de la communication interculturelle. Cette double procédure, insérée dans un processus d’identification et de personnification, contribue à l’exercice de l’identité. 

Demorgon (1984, 2002) a expliqué que différentes procédures d’identification et de personnification mettent en évidence la manière dont l’individu s’identifie « dans l’autre » et « contre l’autre ». La possibilité d’une « fusion » entre deux personnes est interrompue par l’apparition d’un tiers car il est, lui, l’autre des deux autres. Présentées de cette manière, les procédures d’identification montrent une grande complexité dans le développement d’une personne puisqu’elles concernent plusieurs autres personnes et impliquent donc des orientations existentielles différentes multiples comme « agir, faire (ressentir, douter, connaître»), conduites représentatives globales d’un « nous » collectif pluriel (Demorgon, 2005). 

L’unicité d’une personne (unité physique et psychologique) est en elle-même d’abord le produit génétique d’une dualité parentale de nature psychobiologique sexuée. Ainsi, « l’intérité » n’est pas seulement un espace d’interaction trans-individuelle, elle précède même notre identification pré-nominale par nos ascendants. Cet élément d’« intérité » sous-jacent dans nos vies nous est difficile d’accès et de référence (Carpentier et Demorgon, 2009). 

Le notion d’« intérité » pose l’individu comme un acteur produit d’un hiatus entre lui-même et l’Autre. Le terme « intérité » inventé par le linguiste Couturat au début du XXe siècle met immédiatement l’accent sur l’inter-individualité biologique et psychologique mais avec tout autant des implications sociales et philosophiques. 

Demorgon insiste sur la nécessité de prendre en compte une notion tierce qui réfère à ces tiers (personnes en acte ensemble dans des espaces-temps). Ils ne sont pas seulement autres mais tout autant constitutifs d’intérité. C’est ce champ d’interaction entre identités et altérités que dénote l’intérité. C’est proprement dans l’intérité d’un espace-temps d’être et d’agir à travers  et avec les autres que l’individu construit son identité. La notion d’intérité – désignant le lieu de la tiercéïté où se déroule l’échange entre identité et altérité – est d’autant plus importante que l’altérité peut se révéler une illusion. En effet, Demorgon souligne que l’individu, construisant son identité contre et / ou avec les autres, est certes en relation avec des altérités mais ce sont aussi les identités des autres. D’où la nécessité de découvrir ce « tiers » antagoniste et complémentaire de l’identité et de l’altérité. Telle est la conception qui reçoit le nom d ‘« intérité ».

Pour l’auteur français, la prise conscience de cette « intérité » peut avoir des retombées positives dans le domaine de la communication interculturelle. La première retombée est de voir l’individu prendre conscience de sa propre « intérité » personnelle et donc prendre en compte celle des autres. A partir de cette prise de conscience, on peut espérer que l’individu pourra penser à l’intérité entre les différents groupes humains et les différentes cultures nationales. La capacité de penser et de vivre cette « intérité » permet de mieux comprendre, apprendre et construire avec l’altérité des autres. Ceux-ci, à leur tour, vivant cette intérité, rendent possible l’échange dans cet espace dit médian. En définitive, c’est l’intérité elle-même qu’il sera possible d’échanger, de construire, de créer, de composer et d’apprendre.

2./ Apprendre : assimilation, accommodation, adaptation

Pour Demorgon, toute forme d’apprentissage consiste en l’interaction entre un individu en situation et son environnement. L’apprentissage signifie pour une personne d’adapter ses structures cognitives préexistantes, son monde interne, aux nouvelles données issues de la réalité externe. Assimiler signifie interpréter de nouvelles informations sur la base de structures cognitives préexistantes et peut être synonyme d ‘«intégration» ou d’ «intériorisation». Si l’individu ne possède pas les structures cognitives préexistantes nécessaires, il sera difficile d’intégrer ou d’assimiler les nouvelles informations. De ce conflit cognitif naîtra un déséquilibre dans lequel la personne devra rechercher un nouvel équilibre. Il devra donc transformer ses structures cognitives pour s’adapter à l’environnement, c’est-à-dire s’adapter à l’environnement. L’accommodement change cependant les structures cognitives car cette dynamique d’autorégulation permet un nouvel équilibre dans la personne. Cet ajustement pour atteindre un nouvel équilibre est obtenu sous la forme d’une oscillation entre antagonismes pré-adaptatifs.

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