Word World (par Jacques Demorgon)

Sources:

Cours de formation à l’interculturel présenté par J. Demorgon et N. Carpentier

Les grandes orientations culturelles. II. Domaines et cultures

17e leçon : Espaces et temps 

80. Habitant et gouvernant, aréolaire et linéaire, analogique et digital   

            Une contradiction se fait jour en ce qui concerne l’organisation et la nomination de l’espace urbain. Elle oppose la vision de contrôle en extériorité des pouvoirs publics, vision qui est de type linéaire et la vision de pratique en intériorité qui est celle de l’habitant et qui est de type aréolaire (aréa, la surface, l’aire). Le cas du Japon est à cet égard exemplaire comme le montrent les observations de A. Berque sur l’espace au Japon”. 

            Au fil des siècles, trois tentatives au moins furent faites par des pouvoirs publics. La plus ancienne concernait la ville de Kyoto planifiée par les pouvoirs impériaux japonais selon un modèle chinois. C’était un système cadastral de voies orthogonales. Dans ces conditions, “l’espace était donc totalement déterminé par l’ordre linéaire et supra-local de la voirie.” A l’origine, le nom de chaque “machi” (quartier), formant un carré de 120 m de côté, était déterminé par sa place dans l’ensemble. Or dès le 12e siècle, les habitants leurs redonnèrent des noms en relation aux activités qui s’y déroulaient. Au 16e siècle, les quartiers furent recoupés par une rue médiane. Ils gardèrent leurs noms mais les rues prirent le nom des quartiers traversés. Ainsi, Sera Mmaci Dôri était la rue du quartier des monastères. Le quartier a fini par annexer et définir la rue et non l’inverse.

            Deuxième tentative : celle de l’État meijien, à Sapporo, dans un espace vierge. Ce n’était pas les aires mais d’abord les rues qui étaient nommées. Par contre, l’adresse de l’habitant était composée du nom de la rue mais suivi d’un chiffre qui reflétait la situation de sa maison dans le bloc quadrangulaire. On avait ainsi la combinaison des deux principes linéaire et aréolaire. Ainsi Kita 11 ne signifie pas 11 rue Kita mais rue Kita, 11e parcelle.

            Troisième tentative. Après la défaite de 1945, les Américains voulurent introduire à Tokyo un système rigoureux de noms de rues. Mais en vain. 

            Toutefois, quel que soit l’effort d’abstraction les données concrètes d’un espace urbain ne peuvent jamais être complètement éliminées. Ainsi, pour numéroter les rues, il faut bien partir d’un début réel. Cela peut être un fleuve qui traverse la ville, comme c’est le cas à Paris avec la Seine. Bien entendu, des situations peuvent résister à cette organisation. On peut dans un quartier trouver plus commode de numéroter les rues à partir d’un grand carrefour d’où elles partent.

Berque Augustin :

  • (avec Maurice Sauzet) Le Sens de l’espace au Japon. Vivre, penser, bâtir. Paris, Arguments, 2004.
  • Du geste à la cité: Formes urbaines et lien social au Japon. Gallimard, 1993.
  • Le Japon et son double, logiques d’un autoportrait, Masson, 1987.
  • Vivre l’espace au Japon, Paris, Puf, 1982

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